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  • : Le blog de Isabelle OHMANN
  • : Articles sur l'histoire, la philosophie, l'art de différentes civilisations
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Isabelle Ohmann vous présente ce blog culturel pour partager avec vous le fruit de ses recherches.
Elle anime depuis 25 ans des activités culturelles, conférences, stages et séminaires sur des sujets ayant trait à l'histoire, la philosophie et l'art.
Elle intervient dans de nombreuses associations et apporte sa contribution à différentes publications.
Elle anime des voyages culturels vers différentes destinations (voir rubrique spécifique dans ce site).
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Voyages culturels

Isabelle Ohmann accompagne différents voyages culturels :

Florence des Médicis du 20 au 24 février 2010

Pérou, sur les traces des Incas du 2 au 13 avril 2010

Prague, ville magique du 23 au 27 octobre 2010

Pour plus dinformations, consultez les pages de ce blog
27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:05

 

Autour de la Cathédrale de Chartres qui exprime admirablement les talents et connaissances des maîtres du XIIe siècle, s’est développé un univers culturel si riche et intense que Chartres devint le centre intellectuel de son siècle, haut lieu du savoir occidental et foyer d’une véritable renaissance humaniste inspiré par le platonisme.

 

 

 

Comme toute cathédrale importante au Moyen Age, Chartres a entretenu des écoles destinées à l’éducation. Ces écoles des cathédrales offraient une éducation ouverte. On y enseigna les arts du trivium (grammaire, rhétorique, et logique) ou science des mots, comme ceux du quadrivium (arithmétique, géométrie, musique et astronomie) ou science des choses, ainsi que de nombreux autre domaines du savoir comme la morale et la médecine. En plus des sciences humaines, on y étudiait la science sacrée, la théologie. C’est cet esprit d’étude alimenté par la science gréco-arabe qui va rayonner dans tout le siècle.

 

Les origines

L’origine de l’Ecole de Chartres est sans doute liée à l’épiscopat de Fulbert, lettré et savant (1006-1028). Après l’incendie désastreux de l’ancienne église, Fulbert déploya son génie et son argent à reconstruire un nouvel édifice qui vit le jour en moins de vingt ans, (mais qui disparut à son tour en 1194 et dont il ne reste aujourd’hui que la crypte). L’importance comme évêque et conseiller des rois de Fulbert est reconnue de tous, et c’est par sa renommée internationale qu’il parvint à mobiliser les grands de ce monde. Mais il ne réserve pas son savoir aux élites, comme en témoigne une représentation où on le voit enseigner non seulement aux hommes mais également aux enfants et aux femmes.

 

Fulbert, homme universel

Doté d’un vrai sens politique, d’une érudition reconnue par ses pairs et d’un charisme pastoral, Fulbert semble bien s’être intéressé à toutes les branches du savoir, c'est-à-dire les sept arts libéraux du trivium et du quadrivium, mais aussi la science sacrée, le droit et la médecine. Il laissa une abondante correspondance, des poèmes et des sermons. Il passe pour être un chantre exceptionnel et avec son ami Sigond, développera la forme polyphonique dans la composition musicale. Mais surtout, il ancre ce qui deviendra l’Ecole de Chartres dans un courant platonicien. Il ne situe pas la connaissance dans le monde de la perception sensorielle mais dans celui des idées. Il réfute ainsi la démarche matérialiste de son contemporain Bérenger, qui consistait à ériger l’expérience sensible comme unique moyen de la connaissance. Tout l’enseignement de l’Ecole de Chartres consistera à rendre intelligible les lois de l’Univers. Un de ses disciples écrivit « Nous avons plus de motifs de nous féliciter d’avoir vécu en sa compagnie que n’en avait Platon quand il rendait grâces à la Nature de l’avoir fait naître… au temps de son cher Socrate. »

 

L’Ecole de Chartres

Fulbert favorisa ce qui deviendra après lui l’Ecole de Chartres. Le cursus d’enseignement et les grandes figures qui l’animèrent en firent le « grand centre scientifique du siècle » selon l’expression de Jacques Le Goff (1). Placée sous la responsabilité du collège des chanoines, elle fut dirigée par des chanceliers remarquables comme Bernard de Chartres et Thierry de Chartres et accueillit des maîtres célèbres comme Guillaume de Conches, Jean de Salisbury

 

Bernard de Chartres (v.   -1124)

Chancelier de l’Ecole de Chartres vers 1119, il mourut en 1124. Il était considéré à son époque comme « le plus parfait platonicien de son temps » (on lui connaît un commentaire du Timée de Platon), « un puits de science, l’homme le plus lettré qui fût ». Il mit en œuvre une méthode d’exégèse pédagogique, dans laquelle chaque élève était obligé de rendre compte le lendemain d’une partie de ce qu’il avait appris la veille. « Pour eux, chaque jour était le disciple du jour précédent » écrit son disciple, Jean de Salisbury. Ce dernier rapporte également ces propos : «  Bernard de Chartres disait que nous (les Modernes) sommes comme des nains juchés sur les épaules des géants (les Anciens) de telle sorte que nous puissions voir plus de choses et de plus éloignées que n’en voyaient ces derniers. Et cela non point parce que notre vue serait puissante ou notre taille avantageuse, mais parce que nous sommes portés et exhaussés par la haute stature des géants. »

 

Ethique et philosophie

Bernard de Chartres plaçait l’éthique au sommet de l’édifice du savoir. Les questions posées sont les suivantes : suffit-il pour être sage de savoir ? Doit-on aussi se conduire bien ? Y a-t-il un lien nécessaire entre la conduite morale du vrai étudiant et sa science ? Pour Bernard de Chartres et les philosophes de l’Ecole de Chartres savoir et vertu doivent être conjugués. Le bon étudiant se devra donc d'être humble, doux, loin des désirs de la vanité et des apparâts de la volupté, diligent, soucieux d'apprendre de tous librement; qu'il apprenne à étudier une question à fond avant de juger; qu'il ne cherche pas à paraître docte; qu'il aime les découvertes des sages et qu'il veille à les tenir toujours devant sa face comme on tient un miroir devant son visage. Après l'humilité, Bernard de Chartres conseille le zèle de la recherche. L'humilité relève de la discipline, elle s'apprend, elle s'enseigne même.

 

Jean de Salisbury (1130-1180)

Le disciple de Bernard de Chartres, Jean de Salisbury, cet Anglais raffiné fut le secrétaire de Thomas Becket et termina sa carrière comme évêque de Chartres (1176-1180). C’est un des meilleurs représentants de la renaissance humaniste du XIIe siècle.  Ce humaniste était si fin et cultivé que l’on dit que « sa présence rehausse et ennoblit en notre pensée l’image du douzième siècle tout entier » (2) Le Policraticus de Jean de Salisbury est le premier grand traité de science politique. Il offre un nouvel idéal monarchique : un roi sage et instruit. L’auteur effectue la synthèse entre l’idée de nature, la pensée antique assimilée par la philosophie chrétienne et le renouveau de la théologie.  

 

Guillaume de Conches (v. 1080-1154)

Originaire de Normandie, Guillaume de Conches aurait commencé à enseigner aux environs de 1120. Il se définit lui-même comme un physicus, terme qui s’applique aussi bien au médecin qu’au physicien. Il sera intéressé par toutes les branches des sciences de la nature : astronomie, météorologie, géologie, optique, anatomie, physiologie. On dira de lui à l’époque qu’ « il philosophe sur Dieu en physicien » inspiré par les auteurs grecs, latins, juifs et arabes. Très lettré, il laissa un grand nombre d’œuvres, traités systématiques ou commentaires d’auteurs classiques, où les préoccupations grammaticales se mêlent aux considérations de cosmologie.

 

Une physique du monde

La Philosophia mundi de Guillaume de Conches, construit une «physique du monde». Ce maître enchaîne les causes physiques de la nature de l’univers, «de la cause première jusqu’à l’homme». Sans aller jusqu’à remettre en doute l’existence d’un Dieu créateur, il introduit cependant le questionnement et le raisonnement métaphysique. L’homme devient l’objet et le centre de la Création. La Genèse est expliquée selon des lois naturelles. Il écrit « Ce qui importe, ce n’est pas que Dieu ait pu fait cela, mais d’examiner cela, de l’expliquer rationnellement, d’en montrer le but et l’utilité. » Cette vision neuve, qui s’élève contre l’obscurantisme et la superstition, vaut de solides adversaires, parmi lesquels Bernard de Clairvaux, au Chartrain qui se défend : « Ignorant les forces de la nature, ils veulent que nous restions liés à leur ignorance, nous refusent le droit de recherche et nous condamnent à demeurer comme des rustauds dans une croyance sans intelligence ».

 

 

Thierry de Chartres

Thierry de Chartres, « le plus important philosophe de toute l’Europe » occupa la charge de chancelier de 1142 à 1150 environ. Il rédigea une « Bible des sept Arts libéraux », l’Heptateuque, véritable somme de l’enseignement des disciplines libérales, où il évoque le cheminement de la culture des Egyptiens aux Grecs, puis aux Romains. Mais cette œuvre malgré sa dimension encyclopédie, ne mentionne pas les grands textes philosophiques que commentaient les maîtres chartrains : le Timée de Platon, le Commentaire du Songe de Scipion de Macrobe ou encore la Consolation de la Philosophie, de Boèce

 

Il y fait l’éloge de la conjugaison de la sagesse et de l’éloquence, la science des choses et la science des mots, quadrivium et trivium, autour du thème des noces de Mercure et Philologia (amour de la raison) étant une allégorie de la sagesse.

Les mathématiques

Pour Thierry de Chartres, comme pour Platon, les quatre sciences du quadrivium (Arithmétique, Musique, Géométrie, Astronomie) encore appelées mathématiques, jouent le rôle de propédeutique de la théologie. Thierry précise : « la coutume des Anciens était d’apprendre d’abord les mathématiques afin de pouvoir accéder à la connaissance de la divinité. » Les mathématiques ont un point commun avec la physique puisque, pour étudier les figures idéales qui sont leur objet propre, elles sont besoin d’un support matériel ; et un point commun avec la théologie puisque leur objet propre est immatériel. Elles sont donc un pont jeté entre l’univers sensible et le monde intelligible. Au final, il s’agissait « d’effacer la disparité entre les choses humaines et divines » selon l’expression de l’Abbé Suger, fondateur de la basilique de Saint Denis.

 

L’homme créateur

L’Ecole de Chartres faisait sienne la maxime de Macrobe qui rappelait la tradition pythagoricienne : « Lorsque notre pensée, s’élevant, va de nous vers les dieux, le premier degré d’immatérialité qu’elle rencontre, ce sont les nombres. » et Thierry de Chartres ajoutait : « créer les nombres, c’est créer les choses. » La créativité de l’homme peut s’exprimer quand celui-ci accède à l’intelligibilité du monde et s’engage ensuite à le transformer et l’améliorer. Thierry de Chartres distingue ainsi les différentes facultés de l’âme : « Ainsi l’âme reste au niveau de la bête quand elle est prisonnière de la sensation et de l’imagination. Mais elle reste le propre de l’homme quand elle se met au service de la raison… et quand elle s’efforce de s’élever, dans les limites de ses capacités, à la simple totalité unificatrice et qu’elle élève la pensée jusqu’à l’intelligibilité alors elle use d’elle-même, au-dessus d’elle et devient un dieu. » « Dieu est l’Unité, l’Unité est Dieu » affirmait-il encore.

 

L’astronomie

Thierry de Chartres poursuit l’étude physicienne de Guillaume de Conches, notamment à travers l’astronomie, une des quatre disciplines du quadrivium. En considérant l’harmonie de l’Univers comme le reflet du Créateur, on efface toute contradiction entre science et foi. Thierry de Chartres disait que « mettant de l’ordre à ce qui était désordonné [Dieu] se rendait visible même à celui qui a peu de connaissance. » Si l’homme est créé à l’image de Dieu et qu’il possède aussi cette qualité créatrice, il doit alors comprendre les lois de l’Univers pour y intervenir.

 

La cathédrale

La cathédrale, œuvre d’art et de science, était l’affirmation du pouvoir créateur de l’homme. Elle fut l’expression la plus visible de la philosophie de l’Ecole de Chartres qui plaçait l’homme au centre de la création avec le pouvoir de rendre le monde intelligible, de le transformer et de l’améliorer. Toutefois sans les lieux d’éducation et de transmission des savoirs que furent les écoles des cathédrales, foyers de lumière au milieu de l’obscurantisme et de la superstition du Moyen Age, ces « maisons de Dieu » n’auraient jamais pu voir le jour.

 

  

 

Exergue

« Si vous voulez traiter de la justice, de la paix, de l’état du Royaume, vous me trouverez toujours prêt, moi petit satellite, à venir en aide dans la mesure de mes forces. » Fulbert de Chartres

 

 

 

 

(1) Jacques Le Goff, Les intellectuels au Moyen Age, Paris, 1985

(2) Etienne Gilson, La philosophie au Moyen Age, Paris, 1947

 

A lire

L’age d’or des écoles de Chartres, par Edouard Jeauneau, Editions Houvet, 2000

A la lumière des cathédrales, par Philippe Messer (internet)

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article rédigé par Isabelle Ohmann -  isabelle.ohmann.over-blog.com

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