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  • : Le blog de Isabelle OHMANN
  • : Articles sur l'histoire, la philosophie, l'art de différentes civilisations
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Isabelle Ohmann vous présente ce blog culturel pour partager avec vous le fruit de ses recherches.
Elle anime depuis 25 ans des activités culturelles, conférences, stages et séminaires sur des sujets ayant trait à l'histoire, la philosophie et l'art.
Elle intervient dans de nombreuses associations et apporte sa contribution à différentes publications.
Elle anime des voyages culturels vers différentes destinations (voir rubrique spécifique dans ce site).
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Voyages culturels

Isabelle Ohmann accompagne différents voyages culturels :

Florence des Médicis du 20 au 24 février 2010

Pérou, sur les traces des Incas du 2 au 13 avril 2010

Prague, ville magique du 23 au 27 octobre 2010

Pour plus dinformations, consultez les pages de ce blog
3 décembre 2015 4 03 /12 /décembre /2015 09:12

Découverte en 1994 par JM Chauvet et 2 autres spéléologues, la grotte Chauvet-Pont-d’Arc (Ardèche, France) qui compte plus d’un millier de représentations, est la grotte ornée la plus ancienne d’Europe, classée patrimoine mondial de l’Unesco en 2014.

Datée de 36 000 ans, soit presque 20 000 ans antérieure à Lascaux, la référence des grottes ornées européennes, elle bouleverse ainsi complètement la chronologie de l’évolution de l’homme moderne, arrivé en Europe il y a 40 000 ans.

Cette découverte « remet en cause nos connaissances générales sur l’histoire de l’art et l’évolution de la pensée et du cerveau humain » déclare Jean-Michel Geneste le directeur des recherches de la grotte Chauvet Pont-d’Arc.

L’ouverture au public le 25 avril 2015 de la Caverne du Pont-d’Arc, une réplique grandeur nature, a été l’occasion d’une mise au point sur l’art pariétal.

La grotte Chauvet Pont-d’Arc, une découverte culturelle unique

Dès sa découverte, la sophistication des représentations de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc fut l’objet de polémiques sur la datation. Mais avec plus de 80 datations c’est aujourd’hui le site préhistorique dont la chronologie est la mieux établie soit la dernière glaciation, comme l'ont prouvé des analyses scientifiques mais aussi la datation des restes retrouvés dans le sous-sol de la grotte Chauvet. C’est ainsi que l’on a pu déterminer deux dates de fréquentation principales : principalement vers 36 000 ans pour les peintures, puis entre 24 500 et 27 000 ans pour des mouchages de torche et un petit foyer avant qu’un effondrement de la falaise n’obstrue l’entrée de la grotte interdisant tout accès jusqu’à nos jours.

Incontestablement, la grotte Chauvet-Pont-d’Arc est un témoignage unique de l’art aurignacien (voir infographie) dont les préhistoriens ne soupçonnaient même pas l’existence. En effet, la théorie officielle avait établi qu’il aurait fallu au moins 10 000 ans à l’homme moderne pour développer progressivement une technique suffisante pour réaliser les chefs d’œuvre magdaléniens de Lascaux env – 18 000 ans (France) puis Altamira env – 13 000 ans (Espagne), points d’orgue de son art.

Il était inimaginable que dès son arrivée en Europe, l’homme moderne puisse accéder à une telle virtuosité. Aujourd’hui cette théorie est invalidée par la découverte de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc. De plus cette découverte a suscité de nouvelles recherches qui, en 2012, ont attribué une nouvelle datation à la grotte du Castillo (Espagne) en situant la peinture d’un disque rouge à 41 000 ans et une main dessinée au pochoir à 37 000 ans (1). D’autres sites sont en cours de réexamen. D’ores et déjà, la découverte en 2000 d’un sanctuaire humain daté de 30 000 ans dans la grotte de Cussac (Dordogne, France) en cours d’étude, témoigne de pratiques préhistoriques complexes et élaborées.

Ornement et vestiges de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc

La grotte Chauvet-Pont-d’Arc impressionne par son exceptionnelle complexité, la richesse de ses ornements, la diversité de ses ressources archéologiques et paléontologiques et son état de conservation rarement égalé

Sur 8500 m² se succèdent des représentations sophistiquées et saisissantes : compositions pointillistes au pigment rouge, mains positives et négatives, animaux de la mégafaune ornent les parois de la grotte, mais aussi autels dédiés au culte.

Selon Jean-Michel Geneste la mise en scène de la totalité de la grotte est intentionnelle. « Ces œuvres sont organisées dans une progression qui commence par des panneaux majoritairement rouges qui sont espacés et disjoints pour conduire vers de grandes salles aux somptueuses compositions noires. » C’est au fond de la grotte que se découvrent les compositions les plus riches et les plus complexes. Les chercheurs ont également déterminé que nombre de monticules de pierres de dizaines, voire de centaines de kilos devant les fresques l’ont été par la main de l’homme et en aucun cas fortuitement, créant ainsi un aménagement symbolique. De même, des bassins et réservoirs d’eau ont été aménagés, bien qu’il soit attesté que la grotte n’a jamais été habitée.

Jean-Claude Geneste observe que « à Chauvet comme à Lascaux, coexistent des œuvres ostensibles, très apparentes, visibles de tout le groupe, et d’autre cryptées, dissimulées dans les tréfonds de ces sanctuaires […] qui ne se révèlent qu’à la lumière d’un éclairage adapté et surtout d’un regard éduqué […] On est dans le rituel, l’initiation, la transmission du savoir et la recherche d’un univers d’obscurité où les repères sensoriels sont perdus, donc accueillant pour l’imaginaire. »

Représentations animales

En dehors des représentations non figuratives (mains, symboles) la quasi-totalité des fresques représente des animaux, à l’exclusion de tout végétal.

« L’animal y est omniprésent et la densité des vestiges osseux d’ours des cavernes est visuellement stupéfiante » décrit Jean-Michel Geneste.

En effet, on relève un bestiaire de pas moins de 425 animaux de 14 espèces : ours et lion des cavernes, rhinocéros laineux, mammouth, panthère des neiges (unique représentation connue dans l’art pariétal occidental), mégacéros, bison (plus de 60 représentés), auroch, bouquetin, cerf, renne, hibou… dans lequel domine la triade félin-mammouth-rhinocéros.

Le degré de maitrise technique est impressionnant. Les artistes ont joué du relief de la roche pour mettre en valeur leurs compositions, les faisant en quelque sorte surgir de la pierre. En véritables peintres, ils préparent leurs supports par raclage, développent la perspective, utilisent l’estompe et le dégradé, dessinent à même l’argile des compositions encore « fraiches » comme un hibou ou un cheval.

Un culte à l’ours des cavernes ?

En sus des peintures qui le représentent, ont été retrouvés près de 200 crânes et quelques 4000 mandibules, humérus, côtes et ossements d’ours des cavernes. Cet animal déjà en voie d’extinction, hibernait dans cette grotte ainsi que l’atteste la salle des « bauges » (cavités où hibernait l’ours) et où s’observent sur le mur les marques des griffures des plantigrades. Certaines fresques ont d’ailleurs été intentionnellement réalisées sur les griffures.

Dans cette la salle des bauges, juste avant l’une des deux plus magnifiques fresques de la grotte, de 7 mètres de long, dite « Panneau des chevaux » entourant une niche, on peut observer une pierre triangulaire qui serait tombée de la voute, sur laquelle était placé sur une pointe, le crâne d’un ours et juste derrière, sur le coté de la base du triangle, un foyer. Et l’on a pu déterminer que cette pierre triangulaire est reliée à la niche par un écoulement d’eau.

L’intention cultuelle ne fait aucun doute. S’agit-il d’un culte à l’ours des cavernes ? Et si oui, pourquoi ?

Les recherches de Julien d’Huy, de l’EHESS, qui applique des algorithmes issus de l’étude du génome à l’analyse de mythe transmis par tradition orale recueillis à l’époque moderne, peut apporter une forme de réponse. S’appuyant sur la grande stabilité de ce type de récits et en établissant les points communs qui les unissent, le chercheur a pu préciser l’origine de certains mythes qui plongent leurs racines dans le paléolithique supérieur. Il est ainsi parvenu à la conclusion que certaines sociétés préhistoriques assemblaient déjà les étoiles pour former des constellations comme celle de la grande Ourse associée dans leur esprit au récit d’une chasse mythique.

Des félins anthropomorphes

La dernière fresque de la grotte, un chef d’œuvre, des félins males et femelles sont représentés dans une chasse au bison : représente une cavalcade de 36 lions mâles et femelles, 24 rhinocéros et 32 autres animaux (bisons, bœufs musqués, mammouths, chevaux). Avec ses 80 représentants, ce panneau illustre la première création artistique de l’Homme et le geste esthétique – dessin, estompe, perspective, mouvement – le plus ancien jamais découvert….

On peut constater une sorte d’anthropomorphisme graphique des visages qui se rapprochent de l’humain. Dans ce même contexte sur une courbure de la roche en avant plan, est représenté le bas d’un corps féminin avec son triangle pubien, enchassé visuellement dans un bison en station debout et dans un corps de félin.

Le chamanisme, une clé d’interprétation de l’art pariétal

Jean Clottes, conservateur général du patrimoine, préhistorien spécialiste du paléolithique supérieur et de l’art pariétal, directeur scientifique de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc (1998-2002) après avoir supervisé l’authentification de la grotte, y voit l’expression d’un chamanisme. Dans l’espace liminaire des cavités souterraines, l’esprit de certains individus pouvait s’extraire de leur corps et voyager entre le monde réel et le monde surnaturel, ces chamans matérialisant alors leurs visions sur la roche.

Une culture paléolithique

Pour la préhistorienne Dominique Baffier, l’art pariétal est un art symbolique, inspiré par les mythes fondateurs d’une société. « L’art des cavernes raconte une mythologie » observe-t-elle, comme le montre le choix des espèces représentées, mais aussi l’absence d’éléments empruntés à la nature ou la vie quotidienne, végétation, rivières, astres ou objets usuels.

« Les œuvres de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc comme celles de Lascaux reflètent « une conception dite animiste qui attribue un esprit non seulement aux humains, mais aussi à tout ce qui est vivant, animaux ou végétaux, de même qu’à la montagne, au vent ou à la pluie. Dans cette interprétation, l’homme n’est pas différent du reste du monde, il est dans une empathie spontanée avec son environnement » déclare Jean-Michel Geneste.

Il faut se rappeler que lors du peuplement initial de l’Europe, il y a 40 000 ans, les humains très peu nombreux, vivaient immergés dans une foule de grands mammifères et carnivores qui n’étaient pas perçus comme des prédateurs ou des proies (ils n’étaient pas chassés par l’homme) mais comme faisant partie de la nature au même titre que l’homme. L’animal est source d’inspiration et nourrit la spiritualité.

L’art rupestre peut être compris comme une forme d’expression de cette « empathie » avec le monde vivant. Mais « l’art préhistorique n’est pas pour autant un art naturaliste. Les animaux ne sont pas représentés pour ce qu’ils sont dans leur réalité formelle mais pour ce qu’ils symbolisent, affirme Valérie Feruglio, préhistorienne, membre de l’équipe scientifique de la grotte Chauvet-Pont-d’Arc… Ils parlent d’une vision d’une monde, d’une cosmogonie portée et symbolisée par des figures tutélaires forcément animales, clés de voûte des sociétés de chasseurs-collecteurs… Les parois rendent compte d’un condensé […] passé au filtre des préoccupations spirituelles d’un groupe appartenant à une culture dépassant le cadre de l’Ardèche. »

Ces différentes découvertes mettent en évidence l’existence d’une société paléolithique de chasseurs assez complexe, qui garde une même structure sociale sur de vastes aires géographiques et partage un même univers mythique, rituel et symbolique, avec des pratiques artistiques invariantes pendant plus de 20 000 ans.

En effet, de nombreuses recherches mettent en évidence les convergences symboliques des représentations des grottes ornées. Geneviève von Petzinger, anthropologue canadienne, a mis en évidence 28 signes communs dans les grottes d’Europe du paléolithique supérieur (- 40 000 à – 10 000 ans). Par ailleurs, mains positives et négatives sont présentes sur tous les continents, de l’Argentine (cueva de las Manos, Patagonie) à l’Indonésie (Bornéo).

La façon dont les empreintes de mains négatives sont réalisées à Bornéo « correspond à celle mise en œuvre par les guérisseurs : application des mains, crachoti de substances magico-thérapeutiques, les deux associés au souffle régénérateur du thérapeute » observe Jean-Michel Chazine, ethno-archéologue au CNRS étudiant les peintures rupestre de Bornéo. « Les communautés préhistoriques ont, dès les périodes les plus anciennes, manifesté leur capacité à combiner efficacité rituelle ou symbolique avec un sens de l’esthétique qui a perduré, même sous des formes différentes jusqu’aux époques les plus proches de nous » ajoute-t-il.

« L’art, depuis les débuts de notre humanité est vraiment le propre de l’homme (moderne). C’est pourquoi, plutôt que de nous qualifier d’Homo Sapiens (sage) et à plus forte raison de Sapiens sapiens, il paraitrait préférable d’opter pour Homo spiritualis artifex, la spiritualité étant le propre de notre espèce, tout comme l’art qui est l’une de ses conséquences » conclut Jean Clottes.

Conclusion

Cette culture d’hommes modernes qui se manifeste par une excellence artistique et une pensée mythologique et cultuelle près de 20 000 ans plus tôt que prévu est un choc pour les préhistoriens.

« Revisiter en la vieillissant de 10 000 ans la source de l’inspiration de l’art pariétal sur le continent européen […] nous force à revoir les modèles et les paradigmes élaborés à partir des années 1950, eux-mêmes hérités des visions de la fin du XIXe et du début du XXe siècle » reconnait Jean-Michel Geneste.

(1) Revue Science du 15 juin 2012

Documentation : Hors série Le Monde, la grotte Chauvet-Pont-d’Arc, aux sources de l’art, avril-juin 2015

LA GROTTE CHAUVET PONT D’ARC, UNE REVOLUTION ANTHROPOLOGIQUE
LA GROTTE CHAUVET PONT D’ARC, UNE REVOLUTION ANTHROPOLOGIQUE
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