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  • : Le blog de Isabelle OHMANN
  • : Articles sur l'histoire, la philosophie, l'art de différentes civilisations
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Isabelle Ohmann vous présente ce blog culturel pour partager avec vous le fruit de ses recherches.
Elle anime depuis 25 ans des activités culturelles, conférences, stages et séminaires sur des sujets ayant trait à l'histoire, la philosophie et l'art.
Elle intervient dans de nombreuses associations et apporte sa contribution à différentes publications.
Elle anime des voyages culturels vers différentes destinations (voir rubrique spécifique dans ce site).
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Voyages culturels

Isabelle Ohmann accompagne différents voyages culturels :

Florence des Médicis du 20 au 24 février 2010

Pérou, sur les traces des Incas du 2 au 13 avril 2010

Prague, ville magique du 23 au 27 octobre 2010

Pour plus dinformations, consultez les pages de ce blog
27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 22:05
Léonard de Vinci - Clos Lucé - photo Isabelle Ohmann

Léonard de Vinci - Clos Lucé - photo Isabelle Ohmann

Reconstitution de l'atelier de Léonard de Vinci au Clos Lucé - image Isabelle Ohmann

Reconstitution de l'atelier de Léonard de Vinci au Clos Lucé - image Isabelle Ohmann

Léonard de Vinci fut la figure emblématique d’une époque. Il incarne l’humaniste de la Renaissance ouvert à toutes les connaissances. Peintre, musicien et poète, aussi bien que scientifique et ingénieur, il semble que rien n’ait échappé à son génie.

 

Il s’était formé vers 1460 à Florence, une école de philosophie platonicienne fréquentée par des artistes tels que Michel Ange et Botticelli qui fut un ami proche de Léonard. La redécouverte de cette philosophie soulignait la relation entre le mystère de la vie et le mystère de l’homme et la possibilité de percer ce double mystère par des voies appropriées, parmi lesquelles l’art et la connaissance.

 

La Beauté miroir de Dieu

L’artiste de la Renaissance florentine est investi d’une mission : exprimer le divin à travers la Beauté qui est visage de Dieu. L’artiste utilise le support esthétique pour faire cheminer des apparences vers l’essentiel, de la forme vers l’idée. L’artiste est donc d’abord celui qui capte et non pas un technicien des formes. L’art devient alors le reflet du divin et l’artiste son prophète.

Pour exprimer le divin, il faut être à l’écoute de toute chose, à commencer par la nature qui est la forme perceptible de l’énigme du monde et de la vie. C’est pourquoi, selon ses aptitudes, l’artiste peut également se transformer en chercheur qui scrute les mystères de la nature. C’est ce que fut en réalité Léonard qui mit son prodigieux talent d’observation au service à la fois de sa peinture et de ses inventions.

 

L’art est cosa mentale

Le maître mot de la recherche artistique de la Renaissance fut la proportion. Celle-ci existe «quand les parties d’un ensemble ont des rapports harmonieux entre elles et avec la totalité» selon la définition d’Alberti inspiré de Vitruve, un initié romain. La proportion dévoile l’unité qui naît de l’équilibre entre les parties. Et l’unité est l’empreinte de la divinité, car c’est le mystère qui se cache derrière la multiplicité des représentations. Percevoir l’unité en chaque chose c’est percevoir Dieu. Cette faculté est avant tout mentale. L’art est «cosa mentale» dit Léonard de Vinci.

Les proportions les plus nobles sont, selon Vitruve, celles du corps humain inscrites à la fois dans un cercle et dans un carré que Léonard reprendra dans un dessin resté célèbre. L’art nécessite donc une puissance d’abstraction qui seule permet de capter les idées. C’est pourquoi les mathématiques sont la base du travail de Léonard, dans la lignée de la tradition pythagoricienne, qui établit la science des nombres comme une métaphysique. Léonard fera son apprentissage avec le plus grand mathématicien de son temps, Luca Pacioli, qu’il rencontre à Milan vers 1490 et pour lequel il réalisera les dessins des solides platoniciens de son livre La divine proportion (1). C’est ainsi qu’il pourra affirmer «Que nul ne me lise dans mes principes qui n’est pas mathématicien».

 

Un homme ambigu

Si la structure de l’espace relève des mathématiques, l’animation du monde relève du conflit entre ombre et lumière. De ce conflit naît la vie, fille de l’ambigu et de l’inexprimable. Léonard traduira ceci dans sa peinture par une technique spéciale : le sfumato. Le sfumato, ou clair obscur, tente d’exprimer l’indicible et de faire naître la vie dans le tableau, lui donnant une dimension insaisissable qui fit le succès universel de la Joconde, le paroxysme de cette démarche étant sans doute atteint avec le Saint Jean.

Léonard ne cultivait pas seulement l’ambiguïté dans sa peinture. C’était également un homme ambigu. Il était ambidextre, puisqu’il dessinait des deux mains et écrivait aussi bien vers la gauche que vers la droite ; on le disait aussi homosexuel. Il était végétarien mais disséquait les animaux; il déclarait que la guerre était  folie bestiale, mais réalisait avec la plus grande ingéniosité des armes mortelles et des machines de guerre.

 

Raison et expérience

Que ce soit à Milan, au service de César Borgia ou de la ville de Florence, Léonard déploiera une activité de scientifique et d’inventeur remarquable. Nombre de ses inventions mécaniques (il conçut des machines acoustiques, hydrauliques, de guerre, volantes, etc.) ont vu leur application des siècles plus tard (3). Il fut aussi un des premiers anatomistes et botanistes.

Pour Léonard, la science, tout comme l’art, est une imitation de la nature, non pas pour la copier servilement, mais pour rendre vérifiable par l’expérience, les cosa mentale. Percevoir le mécanisme de la terre macrocosme ou reproduire l’anatomie du corps humain microcosme sont démarches semblables : elles visent à percer les lois d’une nature vivante, animée par des lois intelligentes et emplie de l’esprit divin. Imiter la nature, c’est donc tenter d’élucider ses lois et entrevoir l’énigme de Dieu. C’est se métamorphoser en démiurge, devenir créateur à l’égal de Dieu.

Léonard ne s’intéresse pas pour autant aux phénomènes spirituels, qu’il laisse aux philosophes et moines. Il se passionne, en revanche, pour les phénomènes naturels qui permettent une analyse sensible. Il se nomme «disciple de l’expérience». Pour lui l’expérience, conjuguée aux mathématiques, est mère de connaissance. Car une pratique sans science est comme un marin sans boussole. «La science est le capitaine, la pratique le soldat» écrit Léonard (2).

 

La peinture est une ascèse

Pour Léonard, la peinture est une fin ultime. «Le caractère divin de la peinture fait que l’esprit du peintre se transforme en une image de l’esprit de Dieu» écrit-il dans son Traité de la peinture (2). La peinture est recherche de l’absolu, synthèse de tous les arts : c’est le miroir du cosmos. Pour Léonard, le plus grand défaut des peintres est de faire ce qui leur ressemble. Leur comportement narcissique les amène à se projeter dans leur peinture. Le véritable peintre doit écarter les écrans subjectifs sans intérêt. Pour cela, dans le Traité, Léonard donne des conseils qui vont de l’ascèse mentale à l’hygiène de vie. Il invite à la constitution d’une nouvelle objectivité par spéculation et expérience.

 

Dans ce foisonnement intellectuel de la Renaissance, où l’individu s’ouvre au monde, Léonard, en humaniste novateur, cultive une approche interdisciplinaire qui relie les contraires : ombre et lumière, raison et expérience, observation et imagination, art et science. Il illustre ainsi retour d’Hermès, dieu de l’imagination et maître des correspondances entre le ciel et la terre et entre l’homme et l’univers.

 

Notes

(1) Le Nombre d’Or, Luca Pacioli, Editions du Compagnonnage.

(2) Traité de la peinture, Editions Berger Levraut.

(3) lire également l’article de Jorge Livraga, paru dans la revue Acropolis n°175, «les machines de Léonard» (www.revue-acropolis.com)

 

Exergue

«Ce qu’il y a dans l’univers,…, le peintre l’a dans l’esprit d’abord, puis dans les mains. Et celles-ci sont d’une telle excellence qu’elles engendrent à un moment donné une harmonie de proportions embrassée par le regard comme la réalité même» Léonard de Vinci, Traité de la Peinture

 

 


Vous pouvez librement citer ou copier cet article en mentionnant :
article rédigé par Isabelle Ohmann - isabelle.ohmann.over-blog.com

 

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:23

Moyens âges et renaissances s’alternent dans l’histoire. Notre époque troublée nous fait aspirer à un monde plus serein et plus solidaire. Avons-nous besoin d’une nouvelle renaissance ?

 

 

Texte

 

Comme nous le savons aujourd’hui, moyen age et renaissance ne sont pas des époques limitées à notre civilisation européenne, mais bien des étapes cycliques que chaque civilisation traverse un jour ou l’autre.

Le moyen age, comme son nom l’indique, est un âge intermédiaire. Il définit en général la période qui sépare une période de civilisation d’une autre. Il peut être passager, comme en Egypte qui connut deux moyens âges, entre l’Ancien empire et le Moyen empire, puis entre le Moyen empire et le Nouvel empire, ou être définitif, comme le moyen age européen qui signa la disparition de l’Empire romain.

 

Civilisations et moyen âge

 

Le moyen âge désigne une période où les structures disparaissent et où les traces de la civilisation s’effacent, laissant un chaos où seuls de petites unités survivent. Les moyens âges sont par définition des périodes obscures qui ne laissent pas de traces dans l’histoire, si ce n’est par leur durée.

Les civilisations, quant à elles, se définissent par l’expression d’une vision du monde et de valeurs dans différents domaines : l’art – on parlera alors du style de cette civilisation ; la forme politique qui permet aux peuples concernés de vivre en paix intérieure et extérieure ; la religion qui unit les individus dans une vision commune de leur destinée et, enfin, la science qui englobe le corpus de connaissances de cette civilisation.

 

Les civilisations meurent lorsqu’elles perdent leurs valeurs et que les individus qui la composent oublient ce qui forgeait leur unité. La recherche de la préservation des richesses, le repli individualiste et la perte du lien social qui s’ensuivent entraînent une fragilisation et la civilisation qui devient une proie pour d’autres conquérants ou commence à s’émietter en parties distinctes de plus en plus petites. Les réalisations matérielles disparaissent à leur tour.

 

La renaissance

 

Le processus de renaissance est un des plus mystérieux de l’histoire. Après l’hiver de la civilisation, d’une durée plus ou moins longue, naît une nouvelle pousse printanière : la renaissance. De nouvelles formes culturelles apparaissent, qu’elles soient artistiques, politiques, religieuses ou scientifiques. Même si les raisons qui favorisent une telle émergence sont loin d’être toutes élucidées, il est clair qu’elle prend racine dans une vision du monde et des valeurs renouvelées qui permettent de revitaliser le passé pour se projeter dans le futur. Pour prendre l’exemple de la renaissance européenne, la redécouverte de Platon et des philosophies du bassin méditerranéen, oubliées en grande partie pendant le Moyen âge, ont permis de susciter une floraison culturelle qui eut un immense impact sur l’Europe entière (1).

C’est par un réenracinement dans son histoire mais aussi par une ouverture aux apports philosophiques et spirituels autres, qu’une civilisation parvient à se régénérer pour donner naissance à une nouvelle époque de lumière culturelle. Ni la politique de la table rase, qui dénie toute valeur au passé et aux traditions, ni le repli sur des valeurs conservatrices qui refuse tout apport extérieur et innovant, ne permettent d’instaurer une véritable renouveau de civilisation. Des exemples récents, comme la révolution marxiste ou les replis intégristes ou ethniques, en sont la preuve.

 

Un nouveau moyen âge ?

 

Un bref regard sur notre civilisation occidentale nous mène à un constat difficile. Nous avons vécu un XXe siècle qui a trahi presque toutes ses promesses, mise à part l’incroyable évolution technologique et scientifique. Deux guerres mondiales, plusieurs génocides et totalitarismes ont engendré près de cent cinquante millions de morts. Notre planète est dévastée par une industrialisation non maîtrisée : fonte des pôles et des glaciers, déforestation massive, pollution des eaux, sans parler des grandes perturbations climatiques comme le réchauffement artificiel de la planète. L’accroissement démographique énorme engendre un ensemble de problème de plus en plus aigus : famines, épidémies, pénurie de ressources essentielles telles que l’eau. La liste est longue.

 

La peur du futur

 

Tout le monde craint l’avenir mais personne n’a le courage d’affronter véritablement la situation et les grandes institutions internationales ont perdu leur protagonisme et leur pouvoir de réunir tous les acteurs afin qu’ils puissent élaborer un plan d’action concerté et solidaire. Bien au contraire, le droit semble s’effacer au profit de la force, comme on a pu le voir récemment pour les conflits internationaux déclarés unilatéralement. On parle maintenant de « nouvelle barbarie » menaçant la civilisation en maints endroits désormais appelés zones de non-droit.

 

Les symptômes médiévaux

 

La barbarie et la recherche de sécurité ne sont pas les seuls symptômes médiévaux. Aujourd’hui, notre civilisation occidentale a souvent tendance à se résumer à la recherche d’un confort de vie inscrit dans une vision du monde a minima, dans laquelle la déclaration des droits de l’homme apparaît de plus en plus comme un vœu pieux. Cet état de fait provoque un individualisme croissant qui entraîne une désertion de l’espace public et de l’exercice de la citoyenneté, marquant la perte du lien social. L’instabilité et le sentiment d’insécurité permanent renforcent le repli sur soi. L’absence de sens, autre que matériel, engendre aussi la recherche d’ouverture à de nouvelles dimensions qui, manquant le plus souvent de discernement, favorisent la prolifération des voyants, jeux de hasards, sectes ou autres charlatans, images d’une superstition moderne.

 

Une nouvelle renaissance ?

 

Nombreux sont ceux qui aspirent à un monde meilleur et plus juste, comme en témoignent l’intérêt et l’appui grandissants pour les actions humanitaires et solidaires. Avec toutefois le sentiment amer qu’il s’agit souvent d’un emplâtre sur une jambe de bois et que soulager la maladie n’est pas équivalent à en supprimer la cause.

 

Nos société modernes se fondent sur un double credo : la démocratie et l’économie de marché. De l’homme et des nécessaires valeurs qui président à sa réalisation et à sa participation à la société, il est de moins en moins question. Or c’est en retrouvant en soi le meilleur de l’être humain, ce qui relie chaque individu à des valeurs universelles, qu’une civilisation peut refleurir. D’où l’intérêt et la nécessité de rendre ce patrimoine humaniste accessible à tous, afin qu’il puisse nourrir une réflexion et une action inspirée par les plus nobles idéaux de l’histoire de l’humanité.

 

Car, contrairement à ce qu’avaient pensé les idéologues modernes, aucune renaissance ne peut venir de l’extérieur. Nous le savons, ni les lois, ni les décrets ne rendent les individus plus moraux. C’est donc à l’intérieur de chacun qu’il faut cultiver les valeurs, les idéaux et les principes qui permettront à l’homme d’abord, puis à la civilisation, de se régénérer. C’est ce qu’avaient compris les anciennes écoles de philosophie qui furent à la base de nombreuses renaissances. 
 

(1) Voir « l’Humanisme, actualité de la Renaissance », par Isabelle Ohmann et Fernand Schwarz, édition Nouvelle Acropole, collection Dossiers spéciaux.

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article rédigé par Isabelle Ohmann - isabelle.ohmann.over-blog.com

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:19

Véritable rupture avec la pensée médiévale, l’humanisme de la Renaissance plonge ses racines dans l’Antiquité pour mieux s’ouvrir vers le monde.

 

La Renaissance est souvent résumée par le fait du retour à l’Antiquité. Le retour à l’Antique n’est pas seulement la récupération commode d’un savoir passé et oublié. C’est un véritable réenracinement dans la pensée humaine.

 

La tradition de la sagesse

 

L’homme de Renaissance est un homme de tradition : il est héritier du patrimoine de l’humanité. Il s’inscrit dans un sentier d’évolution de l’humanité dont il est une étape. Il réunit, une fois encore, les différents courants de pensée, qui telles branches issues d’un même tronc, se rejoignent pour ne former qu’une seule sagesse. L’homme de tradition est celui qui se préoccupe de récupérer un savoir et un pouvoir oubliés, dont les traces dans les sagesses de l’humanité éveillent en lui la réminiscence et le conduisent à le rechercher activement à l’intérieur de lui-même.

 

Un âge d’or

 

La pensée antique était considérée comme un réservoir de valeurs et d’une vision du monde qui rendait possible la transformation de la société et la construction d’un monde futur, une ère de lumière comme le souhaitait Pétrarque, un nouvel âge d’or qui fut célébré comme tel par les humanistes de la Renaissance.

 

L’humaniste de la Renaissance est proche de l’homme contemporain. Il vit dans une société qui ne lui offre plus de sens et l’enferme dans une pensée dogmatique. Il se sent trahi par un monde qui semble avoir oublié le sens de l’aventure humaine. Etranger à son époque, l’humaniste aspire à se libérer. Il rêve d’une régénération des temps, d’un âge d’or, d’une éclosion de la pensée, d’une profondeur retrouvée de la vie, d’une paix éclairée. Peu à peu ce rêve s’impose à lui comme une nécessité d’une ère nouvelle et d’une nouvelle philosophie de l’homme et de la nature. Il fleurira dans le printemps de la Renaissance.

 

Connais-toi toi même

 

L’humaniste pense que la vie n’est pas seulement quelque chose d’extérieur, comme une suite d’événements ou de circonstances qui s’offriraient à lui. Pour l’homme de Renaissance, la vie a une dimension intérieure, empreinte de magie et de mystère. Cette dimension existe dans l’individu qui possède au fond de lui un dieu caché capable d’éclairer son destin, de le relier aux autres et à l’origine de la création. Nosce te ipsum, Connais-toi toi même, est le premier  péan des humanistes. C’est d’abord en nous mêmes que se trouvent les clés des interrogations essentielles.

 

L’art des correspondances

 

Une autre dimension de la vie se cache aussi dans les profondeurs de l’univers, dans les astres qui animent le monde de leur course et dans les luminaires source de vie pour notre planète. C’est ce que les anciens appelaient « dieux » et que les humanistes redécouvriront à travers un riche monde symbolique.

La rencontre entre la vie intérieure de l’univers et la vie intérieure de l’homme est l’objet de la science hermétique, l’art suprême des relations, celui qui établit des correspondances entre ce qui est en haut et ce qui est en bas. La perception de cette dimension intérieure de la vie est toute l’aventure de l’humanisme de la Renaissance. Percevoir le divin et l’esprit qui se trouve en chaque atome de la vie, en chaque personne, en chaque repli de la nature est la préoccupation constante des humanistes.

 

L’homme artiste

 

Le premier pas pour tenter de capter ces mystères est l’art. L’art est le reflet de la Beauté, dont les humanistes disaient qu’elle était le visage de Dieu. Le beau parle à l’âme un langage qui n’est pas de ce monde : un langage d’harmonie et de pureté qui provoque un sentiment de plénitude et d’exaltation et élève l’âme vers des hauteurs célestes. L’art éveille le sentiment platonicien de la réminiscence, provoquant dans l’âme la nostalgie de son origine céleste.

L’art est le reflet du divin, et l’artiste son prophète : il l’exprime avant tout parce qu’il peut le percevoir grâce à sa sensibilité particulière. Le véritable artiste est d’abord celui qui capte, et non pas un technicien qui maîtrise les formes.

 

La vue intérieure

 

Une des pratiques artistiques majeures de la Renaissance est la poésie, qui est par excellence le langage de l’âme : philosophes, seigneurs, hommes de cour ou artistes, tous pratiquent la poésie, comme une éducation nécessaire de l’esprit et du cœur pour se rendre sensible aux réalités supérieures et pour éveiller donc les perceptions intérieures qui seules ouvrent les yeux de l’âme aux réalités cachées. L’homme de la Renaissance est un voyant et à ce titre est souvent symbolisé par un homme aux yeux bandés pour signifier que son regard n’est pas physique et matériel, mais qu’il s’agit d’une puissance intérieure qui permet de percevoir ce qui est invisible et caché aux yeux physiques.

 

Le langage de l’imaginaire

 

C’est par l’imagination que l’humaniste se relie aux mystères de l’univers. Son âme rationnelle est impuissante à expliquer les réalités spirituelles. Il faut apprendre un autre langage, propre à les rendre accessibles. C’est celui des symboles qui parle à l’imaginaire. Les symboles sont le langage de l’âme : ils sont porteurs de sens. Car les symboles sont le langage que le Verbe divin a semé dans les âmes des hommes diront les Oracles chaldaïques, recueil de la sagesse de Zoroastre. Ils possèdent donc le pouvoir de dévoiler à l’humaniste les secrets de l’esprit et du divin. Ils permettent l’épiphanie, c’est-à-dire l’irruption du sacré dans la vie profane qui en devient ainsi transformée.

 

Le langage de l’âme

 

Ce langage de l’âme est celui des songes, des visions mais aussi l’objet de la philosophie. Il trouve bien entendu son vocabulaire dans les langues sacrées et dans la mythologie antique, qui en deviennent l’outil indispensable. On comprend ainsi la prospérité étonnante des écrits hiéroglyphiques d’Horapollo, censés transmettre la langue symbolique et sacrée de l’Egypte, patrie d’Hermès, et dévoiler le véritable nom des choses, révélateur de leur essence secrète, (conformément aux paroles de la Bible qui parlent du vrai nom des choses et des êtres vivants). Pic de la Mirandole, quant à lui, apportera la sagesse complexe et riche de la Kabbale, langage sacré et symbolique de la tradition hébraïque. Le vrai nom des choses est capable d’influencer de manière décisive leur nature et leur destin.

 

Mythologies

 

La redécouverte des mythes féconde l’imagination de la Renaissance. Car au-delà de leur apparence d’historiettes, les humanistes découvrent des profondeurs complexes de ces récits imaginaires qui, à la fois, voilent les secrets de la nature, et reflètent les mystères de l’âme humaine, de la vie et de l’univers. Ils dévoilent des vérités cachées. L’expression la plus éclatante de leur puissance philosophique dans l’art sera sans conteste celle de Botticelli, particulièrement dans ses tableaux du Printemps et de la Naissance de Vénus. C’est sans doute Giordano Bruno qui portera à une puissance inégalée l’étude philosophique de ces outils de l’imagination.

 

Les pouvoirs de l’homme mage

 

Mais l’humaniste ne se veut pas simplement celui qui contemple les mystères de l’univers. Il veut s’y intégrer comme un maillon vivant dans une chaîne d’or, dont les humanistes disaient qu’elle reliait le ciel et la terre. Acteur dans cette chaîne de relations, l’humaniste devient mage. Le mage est d’abord celui qui peut contempler les structures intimes de la nature et de la vie. C’est l’imitateur, celui qui pratique le grand art de l’imitation, qui n’est bien sûr pas une servile copie de la nature, mais le grand art de l’observation de la nature, de ses pouvoirs intimes, de ses formes qui révèlent son intelligence, visage de l’intelligence divine, Verbe ou Logos, et dont Léonard de Vinci fut le plus grand maître. C’est parce qu’il est saisi d’admiration que celui qui contemple la beauté se transforme en mime, rendant possible, par cette sorte de communion spirituelle, sa métamorphose en un être supérieur.

 

 

Ethique et esthétique

Ainsi le parcours de l’humaniste doit gravir trois échelons qui le mèneront à la pleine rencontre avec ces dimensions cachées de l’existence : l’imitation, art d’observation de la vie, phase d’apprentissage et de découverte, qui est la découverte du Beau à travers les formes harmonieuses de la nature ; la purification des pensées, des sentiments et des actions, à travers une vie philosophique, dont l’exemple sera l’Académie platonicienne de Carreggi et son mentor Marsile Ficin. Ces deux aspects permettront au philosophe d’unir esthétique et éthique Alors seulement, pourra prendre place l’acte magique, fruit de la conjugaison d’un savoir et d’un pouvoir, véritable cérémonie d’union de l’homme aux forces de la vie, au service non pas de lui-même, mais d’une plus grande harmonie dans les plans de l’existence manifestée. L’image des Trois grâces, Beauté-Chasteté-Volupté, tant prisée à la Renaissance, illustrera ce triple parcours.

 

La quête de l’harmonie

 

L’harmonie est sans doute le maître mot de la Renaissance. Elle est l’art difficile de relier les contraires, le ciel et la terre, et c’est, par excellence, l’art d’Hermès qui connaîtra un élan extraordinaire à cette période, soutenu par la redécouverte et la diffusion du Corpus Hermeticum, ensemble des écrits hermétiques datant de la période hellénistique.

 

Le premier terrain de l’harmonie est l’homme, dont Pic de la Mirandole disait qu’il était le nœud du monde, c’est-à-dire le lieu où se rencontraient le ciel et la terre. Celui lui confère une double nature qui amène l’homme à pouvoir faire tour à tour, l’ange ou la bête. L’harmonie dans le monde et autour de lui est aussi la préoccupation de l’humaniste : la suprématie de la paix sur la guerre, de la concorde sur la discorde, seront les grandes préoccupations de l’époque. Les humanistes sont des idéalistes qui rêvent d’une société pacifique et leurs rêves se traduiront souvent par des projets littéraires ou architecturaux de cités utopiques. L’harmonie bien entendu est aussi la grande clé de l’art, de la peinture à l’architecture en passant par la sculpture, un art de relations entre toutes les parties.

 

Ficin et Pic de la Mirandole se feront les chantres d’une concorde religieuse, la pax theologica, et l’on retiendra bien sûr la grande figure d’Erasme qui luttera contre les guerres et les conflits de toutes sortes.

 

La recherche de l’harmonie est la quête du divin, puisqu’elle permet de dévoiler l’unité qui naît de l’équilibre entre les parties. La quête de l’unité qui se cache dans la multiplicité des visages de la vie est cette voie mystérieuse qu’empruntent les humanistes, de Pétrarque à Pic de la Mirandole, car elle est l’empreinte visible de la divinité. Est divin celui qui peut s’unir à lui-même ; est divin celui qui peut vivre à l’unisson de l’univers ; est divin celui qui peut unir le passé et le futur, l’histoire et le présent ; est divin celui qui peut unir les forces du ciel et de la terre.

 

 

Vous pouvez librement citer cet article en mentionnant : 
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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:17

La tradition des mages se répand tout d’abord dans le christianisme d’Orient. C’est à la suite des contacts développés au Moyen âge avec l’Asie que leur popularité gagna l’Occident.

Ces personnages étaient à la fois Rois et Mages - c'est-à-dire souverains dans leur pays, représentants de l'autorité temporelle mais aussi investis d'une formidable autorité spirituelle et possédant la plus haute science qui soit : celle de la Magie, la science des sciences. Ils sont donc rois et mages à la fois.

 

Les trois rois mages

 

A partir du VIe siècle on les différencia (Gaspard, Melchior, Balthazar), et on les assimila aux trois âges de la vie (jeunesse, maturité, vieillesse). Ils représentent le temps humain mais aussi le temps cosmique : le mage âgé exprime le passé, le mage adulte, le présent et le mage le plus jeune, le futur, réunis autour du Christ cosmocrator.

 

Plus tard on leur attribua des races différentes, symboles des trois races humaines de la Bible, chaque mage étant un descendant de chacun des fils de Noé. Les atlas du XIVe siècle les dispersent sur les trois continents du monde connu : Gaspar en Asie, Balthasar en Afrique, Melchior en Europe. Ainsi Gaspard était jaune, Balthazar noir, et Melchior blanc symbolisant ainsi l'ensemble de l'humanité.

 

Tous les Pères de l'Eglise s'accordent sur la signification symbolique des trois présents : Melchior offre de l'or, symbole de la royauté et du pouvoir matériel, Gaspar de l'encens, symbole de la prière et de la divinité, et Balthazar de la myrrhe, symbole de la souffrance, donc de l'humanité, mais aussi de l’immortalité, car la myrrhe servait à l’embaumement des corps. L’or, l’encens et la myrrhe étaient respectivement destinés aux trois visages du Christ en tant que roi, dieu et homme.

 

La tradition des mages à Florence

 

Un culte particulier voué aux mages s’était implanté à Florence vers la fin du XIVe siècle : il est rapporté qu’en 1390 au moment de l’Epiphanie, un cortège à cheval représentant le pèlerinage des trois Mages avait relié San Marco au Baptistère, devenu pour l’occasion le symbole du temple de Jérusalem. On connaît également l’existence, au début du XVe siècle, d’une Confrérie des Mages, dont le siège aurait été dans la maison des Ubriachi au-delà de la porte San Frediano, et qui se réunissait dans l’église dominicaine de San Marco. Cette confrérie pourrait n’avoir été qu’une association laïque destinée à organiser des fêtes ou peut-être une sorte de société secrète reliant des personnages importants de la ville, s’appuyant sur une symbolique qui offrait la possibilité de la sacralisation du pouvoir.

 

Les Médicis et les Mages

 

Dès son retour d’exil en 1434, Cosme de Médicis devient le parrain et le mécène de la Confrérie des Mages, et participe activement à l’organisation des fêtes. En 1439, année du Concile d’Union des Eglises qui se tenait à Florence, la fête fut jumelée à celle de la Saint Jean. En 1443, Cosme inaugura – ou reprit – la tradition d’une offrande de chandelles de cire qu’il apportait personnellement au couvent de San Marco le jour de l’Epiphanie. Il existait, durant la période solsticiale, de nombreux rites accomplis avec les bougies, symbolisant le feu et la lumière, images du soleil prêt à renaître.

La fête des rois Mages devint ensuite plus institutionnelle, au fur et à mesure de l’influence grandissante des Médicis à Florence. En 1447 on décida de célébrer somptueusement les Mages tous les cinq ans et de lever des impôts pour cela, et  la Seigneurie désigna une commission, (le plus souvent dirigée par des hommes de confiance des Médicis) chargée du déroulement des réjouissances. En 1459, le rôle du plus jeune des rois mages, Gaspar, aurait été tenu par Laurent le Magnifique, âgé de dix ans à l’époque.

 

Les rois mages de Gozzoli

 

[Icono : la procession des rois mages, Benozzo Gozzoli, fresque, Chapelle du Palais Médicis, Via Larga]

 

La fresque des rois mages la plus connue concernant les Médicis se trouve dans la chapelle du Palais Médicis, via Larga. Cette fresque est réalisée dans l’endroit le plus intime du palais des Médicis, tout comme au couvent San Marco, où elle sera représentée dans la cellule de Cosme. Elle représente la procession de mages dans un décor féerique, traité avec la minutie propre aux artistes du gothique international. On peut y voir une fresque de l’époque où Florence fut le siège du concile d’Union des églises romaine et byzantine.

 

Sur la droite, le mage âgé à la barbe blanche, vêtu de rouge et chevauchant une mule, serait Joseph, le patriarche de Constantinople, venu pour le Concile d’Union à Florence où il mourut (il est enterré à Santa Maria Novella). Il évoque Balthazar le mage âgé porteur de l’encens.

Au centre, le mage adulte au teint basané à la barbe brune, somptueusement vêtu de vert et d’or, et portant couronne serait le basileus Jean VIII Paléologue, l’empereur byzantin qui avait œuvré pour l’union entre les deux Eglises. On le reconnaît à son chapeau et à sa barbe (les florentins sont imberbes et les orientaux, au contraire, toujours représentés avec une barbe).

 

Les nouveaux rois

 

A gauche, le jeune homme imberbe vêtu de blanc est Laurent le Magnifique, le fils de Pierre, sous les traits du jeune mage Gaspar, porteur de la myrrhe. Le prénom de Laurent est symbolisé par le laurier qui entoure la tête du jeune prince. Le jeune Médicis est héroïsé et s’inscrit ainsi dans la lignée des seigneurs régnant sur l’Orient et l’Occident. Il symbolise la dynastie Médicis tout entière.

Derrière lui on peut identifier au premier rang à cheval, Cosme l’ancien vêtu de noir et son fils Pierre, dit le Goutteux, en tunique noire brodé or.

Un peu plus à gauche, on reconnaît, tête nue, Sigismond Pandolfe Malatesta et à ses côtés, Galeazzo Maria Sforza monté sur un cheval blanc. Derrière lui, on identifie de part et d’autre d’un inconnu coiffé d’un bonnet marron, à gauche, Laurent le magnifique et à droite son frère Julien, tous deux âgés d’une dizaine d’année. Au dessus de la tête de Laurent, le peintre lui-même s’est représenté avec un bonnet où l’on peut lire opus Benotii. Derrière lui, on pense reconnaître le pape humaniste, Silvio Piccolomini, Pie II, coiffé d’un capuchon rouge.

 

On pourra souligner également que vers 1446-1447 l’entourage de Fra Angelico, dont Benozzo Gozzoli faisait partie, avait peint une adoration des mages dans la cellule du couvent de San Marco, où Cosme de Médicis se retirait pour méditer. On a pu voir dans cette fresque la rencontre entre l’Orient et l’Occident, présidée par Hermès, père de la sagesse, et la confirmation de la valeur symbolique que les premiers Médicis accordaient à cet événement biblique.

 

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article rédigé par Isabelle Ohmann - isabelle.ohmann.over-blog.com

 

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:15

C’est au XIIe siècle que Tomar devient la capitale des Templiers. Bati à l’intérieur de l’enceinte du château des Templiers, le couvent du Christ est célèbre pour sa fenêtre manuéline.

 

Texte

Avec ses lignes ondoyantes qui s’étendent dans l’espace, la fenêtre de Tomar est l’image de la puissance du Portugal, conquérant des mers et propagateur de la foi. C’est ainsi que l’on voit un personnage (un capitaine ?) qui soutient à bout de bras deux mâts ou piliers, autour desquels s’enroulent des algues, des coraux et des cordages, allusion évidente au monde maritime et aux Grandes Découvertes. Aux extrémités, deux sphères armillaires encadrent le blason de Manuel 1er et la croix évidée de l’Ordre du Christ qui rappellent aussi que Tomar fut l’avant poste chrétien de la Reconquista.

Mais derrière ces affirmations de puissance, la fenêtre de Tomar porte un message symbolique sur la destinée.

 

Le parcours de l’homme

Ce sont les deux piliers qui l’encadrent qui donnent le sens de cette réalisation. Sur le pilier de gauche, au sommet, les anges symbolisent l’état de l’homme accompli. De l’autre coté, un héros, ressemblant à Hercule, montre que l’homme doit guerroyer pour parvenir à cet idéal d’accomplissement.
Au dessous, sur la colonne de gauche, la chaîne parfaite symbolise la perfection, tandis que sur la colonne de droite la ceinture signifie la nécessité de l’ajustement pour les hommes.
A gauche, des racines coupées sont représentées, tandis qu’à droite elles plongent profondément dans la terre, rappelant que le monde des hommes est ancré dans la matière.
Le monument lui-même est entouré d’une corde qui sépare le monde souterrain du monde supérieur, mais aussi le sacré du profane, délimitant ainsi l’espace sacré du temple. La corde symbolise aussi la nécessité de contrôler ses énergies inférieures.

Les quatre éléments

En observant bien la fenêtre, on peut observer en bas, une figure énigmatique coiffée d’un chapeau (le « capitaine »), de laquelle partent les racines d’un chêne, dont le développement est la fenêtre elle-même. La fenêtre est donc un arbre, structurée en quatre éléments. En bas, le monde physique, la terre, où l’arbre plonge ses racines. Ensuite la corde marine délimite le monde psychologique, le monde des eaux, symbolisé par le cheval, comme celui de Poséidon qui, dans la mythologie grecque, représente les eaux psychiques.
Tout en haut, dans la rosace, s’exprime le souffle divin dans le mouvement des ailes tournoyant dans l’embrasement.


Un âge d’or

De l’autre côté du mur, sur la face nord du chœur manuelin, pendant exact de la figure coiffée d’un chapeau, une autre figure énigmatique est située dans un nœud de corde en forme de cœur ou de caducée et au milieu de racines d’arbre, mais d’un arbre sec cette fois-ci. Ceci nous rappelle le symbolisme de la divine Comédie qui parle de l’arbre sec qui va reverdir et refleurir, symbole largement employé dans la Renaissance italienne. De même les rois portugais de l’age des découvertes pensaient revivre un âge d’or, époque qui voyait refleurir la civilisation.

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:11

Sans doute le plus célèbre tableau du peintre florentin Botticelli, « Le Printemps » paraît représenter et fêter l’arrivée des beaux jours. Mais inspiré de la philosophie platonicienne, c’est un chef d’œuvre aux significations profondes.

 

 

Au milieu d’un bosquet d’orangers apparaît sur une prairie, Vénus, la déesse de l’amour. Ce décor symbolise sans doute le jardin sacré de la déesse qui était situé, selon la mythologie, dans l’île de Chypre. Le tableau se lit de droite à gauche.

 

Selon le récit d’Ovide, dans le jardin des Hespérides, le dieu du vent, Zéphyr aurait été pris en voyant la nymphe Chloris d’une sauvage passion et l’aurait poursuivie et prise de force pour femme. Mais après s’être repenti de sa fougue, il l’aurait changée en Flore, reine de l’éternel printemps, et lui offrit le royaume des fleurs. Flore est ainsi la déesse de la jeunesse et de la floraison, protectrice de l’agriculture et de la fécondité féminine. Elle sème des fleurs sur la terre, indiquant par là son pouvoir fécondant. Au centre, souveraine de ce bosquet, Vénus se tient un peu à l’arrière, comme si elle voulait laisser passer sa suite devant elle. Au dessus de la déesse, les orangers se referment en demi-cercle, comme une auréole qui entourerait la déesse, et son fils, Eros décoche ses flèches d’amour, les yeux bandés. A gauche nous voyons les trois Grâces, compagnes de Vénus, dansant une ronde pleine de charme.Elles sont suivies de Mercure, le messager des dieux, qui ferme le tableau sur la gauche. Il tient de la main droite son caducée afin d’éloigner les nuages menaçant de pénétrer dans le jardin de Vénus. Il tourne le dos à la composition comme s’il voulait s’en isoler. Mercure est ici le protecteur d’un jardin dans lequel il n’y a pas de nuages et où règne la paix éternelle. La vaillance de Mercure dans sa fonction de gardien du bosquet est illustrée par la présence du sabre à son côté gauche.

 

L’éternel printemps

 

Le jardin est symbole de paix et du printemps éternels. Le tableau reflète toutefois un symbolisme plus subtil. Il symbolise le chemin de l’âme vers le divin : l’entrée de l’âme dans le jardin du monde et son chemin de perfectionnement, de la voie de l’amour sensible à celle de l’amour pur qui conduit à la contemplation des vérités éternelles.

Dans sa composition, le tableau présente deux parties qui s’harmonisent autour de l’axe représenté par Vénus. Ces deux parties illustrent le double visage de Vénus symbole de la dualité de l'âme : Vénus Pandemos attirée par les plaisirs terrestres, et Vénus Ourania qui tend vers la félicité céleste. Ces deux visages de l’amour, amour céleste et amour profane, sont représentés par les deux triptyques du tableau qui décrit les métamorphoses de l’amour qui se déploient dans le jardin de Vénus.

 

Zéphyr, Chloris et Flora

Dieu du vent, Zéphyr pénètre plutôt violemment dans le jardin au point que les arbres ploient. Il gonfle puissamment ses joues pour en faire sortir des souffles chauds. Il poursuit la nymphe habillée de voiles transparents, et qui le regarde avec effroi. Il symbolise la passion débridée. Botticelli a représenté la métamorphose de la nymphe Chloris en Flora, comme un changement de nature : la naïve Chloris est transformée en beauté victorieuse, comme fruit de la réunion de la passion et de la pureté.

 

Dans une autre clé, selon l’orphisme, l’âme entre dans l’univers, portée par les vents. Zéphyr, le ténébreux, s’introduit dans le jardin du monde et y fait entrer l’âme/Chloris, l’étoile céleste, tout en semblant la retenir, comme l’amour passionnel ralentit l’avancée vers le monde céleste.

 

Flore, l’âme-fleur est la figure de la beauté terrestre, qui n’est pas seulement belle elle-même, mais qui, en semant ses roses, embellit le monde. Flore représente la seconde Vénus, la Vénus terrestre ou Vénus pandemos. C’est la mère de la vie.

 

Vénus

 

Loin d’être l’incarnation de l’amour charnel, Vénus, comme axe du tableau, symbolise l’idéal humaniste de l’amour spirituel qui, avec l’ascèse de l’âme, permet son élévation vers les hauteurs de l’intelligence pure. Telle la Diotime du Banquet de Platon elle montre la voie de la beauté et de l’amour célestes.

 

Selon Platon, la communion entre les mortels et les dieux s'établit par la médiation de l'Amour (1) . Cet Amour est personnifié par Vénus au centre d'un processus qui relie les dieux et les hommes, rythmé en trois temps : l'émanation, qui est la création, la conversion ou le rapt, qui produit une extase vivifiante d'où jaillit l'Amour, et la réintégration ou perfectionnement, qui permet le retour au ciel et la réunion avec les dieux. Comme le disait Jorge Livraga, Botticelli présente Vénus «qui domine le passé, le présent et le futur. C'est l'axe central. C'est l'Amour platonicien qui domine tout ce qui est manifesté et se concrétise selon les besoins et le degré de conscience de chacun ».

 

Vénus lève la main vers les trois Grâces en signe de modération. Déesse de la concorde et de l’harmonie, Vénus est représentée, dans le néo-platonisme renaissant, comme une déesse bienfaisante, paisible et mesurée. Elle semble enceinte, comme pleine de l’harmonie du monde.

 

Les trois Grâces

 

Les trois grâces représentent les trois visages de l’amour. Selon la clé chrétienne, elles sont les vertus théologales : Foi, espérance et Charité. Dans la clé néoplatonicienne, ce triptyque présente Pulchritud-Amor(Castitas)-Voluptas, la Beauté, l'Amour (chaste), le Plaisir. Selon Ficin « l'amour commence par la beauté et se termine en plaisir. » Dans l’itinéraire qui comble l’âme, l’art est le premier degré par le plaisir de la beauté, et la joie de la contemplation est le dernier degré de ravissement de l’amour sacré.

 

La première Grâce est Beauté. Dans l'art de la Renaissance, la place de la Beauté est centrale, tenant un rôle quasi mystique. Les artistes et les poètes ont la faculté prophétique de voir le Beau et ainsi exciter l'amour de la connaissance. C'est par l'expérience de la Beauté, reflet de Dieu que l'on parvient à s'élever à la vision du divin. "La beauté du monde est la splendeur du visage de Dieu" dit Ficin. Selon l’enseignement platonicien, le philosophe doit extraire de la beauté sensible ce qui doit favoriser l’ardeur de l’amour supérieur. La Beauté est aussi, selon l’enseignement platonicien contenu dans le Phèdre, la seule représentation qui peut éveiller dans notre âme la réminiscence des beautés célestes qu’elle a contemplées avant son entrée dans le monde. C’est pourquoi, pour les philosophes de la Renaissance, la Beauté est spirituelle.

 

L’amour et le plaisir

 

La grâce du centre, est  l’Amour. On l’identifie également à la Chasteté. C’est l’amour pur, non souillé de désir sensuel, car seul l’amour chaste conduit à la vraie jouissance de la beauté. Elle se distingue des autres en ne portant aucune parure.

Elle nous tourne le dos, pour marquer que la conversion aux choses divines implique de se détourner de ce monde pour s'ouvrir au Tout Autre. Cette fonction de médiateur de l'Amour correspond à la définition donnée par Platon dans le Banquet, à savoir que « l'Amour est le Désir éveillé par la Beauté. » Seule la force vivifiante de l'Amour peut parvenir à unir les contraires, si l'Amour contemple le Tout Autre.

La troisième grâce est le Plaisir. Le plaisir n’est pas la volupté sensuelle, mais au contraire, représente la joie, ultime but du philosophe, qu'il doit conquérir par cette contemplation du Tout Autre. Cette joie (l'eudaimonia des anciens) est le bien suprême.

 

Cupidon

 

Cupidon est le fils de la Vénus céleste et décoche ses flèches sur Amour/chasteté. Dans la mystique de la Renaissance, Cupidon va inspirer à l’amour chaste un désir éveillera la volonté assoupie de l’âme et la propulsera dans sa quête. Ce sera une fureur héroïque qui conduira l’âme vers le supérieur. Ses yeux sont bandés car selon Pic de la Mirandole « Orphée dit que l'amour est 'sans yeux' parce qu'il est au-delà de l'intellect ». Pour connaître la nature divine de l'âme immortelle cachée au fond de soi, il faut développer un regard intérieur, symbolisé par les artistes de la Renaissance, comme un aveuglement physique.

 

Mercure

 

Situé à la fin du tableau, Mercure annonce le but ultime du voyage d’amour. Par son caducée brandi vers le ciel, il invite à la vision extatique qui s’obtient par l’union avec l’esprit.

 

Par tradition Mercure est le guide et l’escorte des Grâces. « L'intelligence suit le plaisir, qui est le bien suprême, le plus authentique et le plus durable. » dit Pic de la Mirandole. Car ce sont les sentiments supérieurs, tels la joie authentique, qui permettent l’éclosion de la sagesse, c'est-à-dire l’intelligence qui guide la personnalité humaine. Mercure chasse les nuages de la pensée et dissipe les troubles mentaux nés des passions ombrageuses, et les « sottes opinions ». Mercure est aussi le mystagogue, celui qui permet de pénétrer les connaissances secrètes : révéler les mystères, c’est ôter les voiles tout en préservant leur opacité en sorte que la vérité puisse pénétrer et non pas éblouir.

 

En montrant la lumière divine cachée dans les nues, et tournant le dos au monde pour contempler l’au-delà, Mercure poursuit l’action des Grâces amorcée dans leur danse. Il est le guide de l’esprit, symbolisé par les flammes renversées qui figurent sur sa toge.

 

Un cycle complet

Mais la composition est un véritable cycle dans lequel Mercure et Zéphyr se rejoignent.

Tourner le dos au monde avec le détachement de Mercure et retrouver le monde avec l’impétuosité de Zéphyr telles sont les deux forces complémentaires de l’amour, dont Vénus est la gardienne et Cupidon l’agent.

Souffle et esprit étant une seule et même chose, le souffle printanier de Zéphyr (qui dans son aspect sauvage peut aussi être identifié à un satyre ou à Pan, sorte de Mercure terrestre) et l’esprit de Mercure représentent deux phases d’un processus récurrent. Celui qui descend sur terre sous la forme du souffle de la passion, retourne au ciel dans l’esprit de la contemplation.

 

Ainsi se dessine le trajet essentiel dans la métamorphose de l’âme du philosophe, l’amoureux de la sagesse, qui, éveillé par la Beauté, doit faire l’unité en lui pour atteindre sa quête de la vérité.

 

 

(1)  voir l’article « L’amour dans le Banquet de Platon » dans notre revue n°188 p 20

 

 

 

Sans doute le plus célèbre tableau du peintre florentin Botticelli, « Le Printemps » paraît représenter et fêter l’arrivée des beaux jours. Mais inspiré de la philosophie platonicienne, c’est un chef d’œuvre aux significations profondes.

 

Texte

Au milieu d’un bosquet d’orangers apparaît sur une prairie, Vénus, la déesse de l’amour. Ce décor symbolise sans doute le jardin sacré de la déesse qui était situé, selon la mythologie, dans l’île de Chypre. Le tableau se lit de droite à gauche.

 

Selon le récit d’Ovide, dans le jardin des Hespérides, le dieu du vent, Zéphyr aurait été pris en voyant la nymphe Chloris d’une sauvage passion et l’aurait poursuivie et prise de force pour femme. Mais après s’être repenti de sa fougue, il l’aurait changée en Flore, reine de l’éternel printemps, et lui offrit le royaume des fleurs. Flore est ainsi la déesse de la jeunesse et de la floraison, protectrice de l’agriculture et de la fécondité féminine. Elle sème des fleurs sur la terre, indiquant par là son pouvoir fécondant. Au centre, souveraine de ce bosquet, Vénus se tient un peu à l’arrière, comme si elle voulait laisser passer sa suite devant elle. Au dessus de la déesse, les orangers se referment en demi-cercle, comme une auréole qui entourerait la déesse, et son fils, Eros décoche ses flèches d’amour, les yeux bandés. A gauche nous voyons les trois Grâces, compagnes de Vénus, dansant une ronde pleine de charme.Elles sont suivies de Mercure, le messager des dieux, qui ferme le tableau sur la gauche. Il tient de la main droite son caducée afin d’éloigner les nuages menaçant de pénétrer dans le jardin de Vénus. Il tourne le dos à la composition comme s’il voulait s’en isoler. Mercure est ici le protecteur d’un jardin dans lequel il n’y a pas de nuages et où règne la paix éternelle. La vaillance de Mercure dans sa fonction de gardien du bosquet est illustrée par la présence du sabre à son côté gauche.

 

L’éternel printemps

 

Le jardin est symbole de paix et du printemps éternels. Le tableau reflète toutefois un symbolisme plus subtil. Il symbolise le chemin de l’âme vers le divin : l’entrée de l’âme dans le jardin du monde et son chemin de perfectionnement, de la voie de l’amour sensible à celle de l’amour pur qui conduit à la contemplation des vérités éternelles.

Dans sa composition, le tableau présente deux parties qui s’harmonisent autour de l’axe représenté par Vénus. Ces deux parties illustrent le double visage de Vénus symbole de la dualité de l'âme : Vénus Pandemos attirée par les plaisirs terrestres, et Vénus Ourania qui tend vers la félicité céleste. Ces deux visages de l’amour, amour céleste et amour profane, sont représentés par les deux triptyques du tableau qui décrit les métamorphoses de l’amour qui se déploient dans le jardin de Vénus.

 

Zéphyr, Chloris et Flora

Dieu du vent, Zéphyr pénètre plutôt violemment dans le jardin au point que les arbres ploient. Il gonfle puissamment ses joues pour en faire sortir des souffles chauds. Il poursuit la nymphe habillée de voiles transparents, et qui le regarde avec effroi. Il symbolise la passion débridée. Botticelli a représenté la métamorphose de la nymphe Chloris en Flora, comme un changement de nature : la naïve Chloris est transformée en beauté victorieuse, comme fruit de la réunion de la passion et de la pureté.

 

Dans une autre clé, selon l’orphisme, l’âme entre dans l’univers, portée par les vents. Zéphyr, le ténébreux, s’introduit dans le jardin du monde et y fait entrer l’âme/Chloris, l’étoile céleste, tout en semblant la retenir, comme l’amour passionnel ralentit l’avancée vers le monde céleste.

 

Flore, l’âme-fleur est la figure de la beauté terrestre, qui n’est pas seulement belle elle-même, mais qui, en semant ses roses, embellit le monde. Flore représente la seconde Vénus, la Vénus terrestre ou Vénus pandemos. C’est la mère de la vie.

 

Vénus

 

Loin d’être l’incarnation de l’amour charnel, Vénus, comme axe du tableau, symbolise l’idéal humaniste de l’amour spirituel qui, avec l’ascèse de l’âme, permet son élévation vers les hauteurs de l’intelligence pure. Telle la Diotime du Banquet de Platon elle montre la voie de la beauté et de l’amour célestes.

 

Selon Platon, la communion entre les mortels et les dieux s'établit par la médiation de l'Amour (1) . Cet Amour est personnifié par Vénus au centre d'un processus qui relie les dieux et les hommes, rythmé en trois temps : l'émanation, qui est la création, la conversion ou le rapt, qui produit une extase vivifiante d'où jaillit l'Amour, et la réintégration ou perfectionnement, qui permet le retour au ciel et la réunion avec les dieux. Comme le disait Jorge Livraga, Botticelli présente Vénus «qui domine le passé, le présent et le futur. C'est l'axe central. C'est l'Amour platonicien qui domine tout ce qui est manifesté et se concrétise selon les besoins et le degré de conscience de chacun ».

 

Vénus lève la main vers les trois Grâces en signe de modération. Déesse de la concorde et de l’harmonie, Vénus est représentée, dans le néo-platonisme renaissant, comme une déesse bienfaisante, paisible et mesurée. Elle semble enceinte, comme pleine de l’harmonie du monde.

 

Les trois Grâces

 

Les trois grâces représentent les trois visages de l’amour. Selon la clé chrétienne, elles sont les vertus théologales : Foi, espérance et Charité. Dans la clé néoplatonicienne, ce triptyque présente Pulchritud-Amor(Castitas)-Voluptas, la Beauté, l'Amour (chaste), le Plaisir. Selon Ficin « l'amour commence par la beauté et se termine en plaisir. » Dans l’itinéraire qui comble l’âme, l’art est le premier degré par le plaisir de la beauté, et la joie de la contemplation est le dernier degré de ravissement de l’amour sacré.

 

La première Grâce est Beauté. Dans l'art de la Renaissance, la place de la Beauté est centrale, tenant un rôle quasi mystique. Les artistes et les poètes ont la faculté prophétique de voir le Beau et ainsi exciter l'amour de la connaissance. C'est par l'expérience de la Beauté, reflet de Dieu que l'on parvient à s'élever à la vision du divin. "La beauté du monde est la splendeur du visage de Dieu" dit Ficin. Selon l’enseignement platonicien, le philosophe doit extraire de la beauté sensible ce qui doit favoriser l’ardeur de l’amour supérieur. La Beauté est aussi, selon l’enseignement platonicien contenu dans le Phèdre, la seule représentation qui peut éveiller dans notre âme la réminiscence des beautés célestes qu’elle a contemplées avant son entrée dans le monde. C’est pourquoi, pour les philosophes de la Renaissance, la Beauté est spirituelle.

 

L’amour et le plaisir

 

La grâce du centre, est  l’Amour. On l’identifie également à la Chasteté. C’est l’amour pur, non souillé de désir sensuel, car seul l’amour chaste conduit à la vraie jouissance de la beauté. Elle se distingue des autres en ne portant aucune parure.

Elle nous tourne le dos, pour marquer que la conversion aux choses divines implique de se détourner de ce monde pour s'ouvrir au Tout Autre. Cette fonction de médiateur de l'Amour correspond à la définition donnée par Platon dans le Banquet, à savoir que « l'Amour est le Désir éveillé par la Beauté. » Seule la force vivifiante de l'Amour peut parvenir à unir les contraires, si l'Amour contemple le Tout Autre.

La troisième grâce est le Plaisir. Le plaisir n’est pas la volupté sensuelle, mais au contraire, représente la joie, ultime but du philosophe, qu'il doit conquérir par cette contemplation du Tout Autre. Cette joie (l'eudaimonia des anciens) est le bien suprême.

 

Cupidon

 

Cupidon est le fils de la Vénus céleste et décoche ses flèches sur Amour/chasteté. Dans la mystique de la Renaissance, Cupidon va inspirer à l’amour chaste un désir éveillera la volonté assoupie de l’âme et la propulsera dans sa quête. Ce sera une fureur héroïque qui conduira l’âme vers le supérieur. Ses yeux sont bandés car selon Pic de la Mirandole « Orphée dit que l'amour est 'sans yeux' parce qu'il est au-delà de l'intellect ». Pour connaître la nature divine de l'âme immortelle cachée au fond de soi, il faut développer un regard intérieur, symbolisé par les artistes de la Renaissance, comme un aveuglement physique.

 

Mercure

 

Situé à la fin du tableau, Mercure annonce le but ultime du voyage d’amour. Par son caducée brandi vers le ciel, il invite à la vision extatique qui s’obtient par l’union avec l’esprit.

 

Par tradition Mercure est le guide et l’escorte des Grâces. « L'intelligence suit le plaisir, qui est le bien suprême, le plus authentique et le plus durable. » dit Pic de la Mirandole. Car ce sont les sentiments supérieurs, tels la joie authentique, qui permettent l’éclosion de la sagesse, c'est-à-dire l’intelligence qui guide la personnalité humaine. Mercure chasse les nuages de la pensée et dissipe les troubles mentaux nés des passions ombrageuses, et les « sottes opinions ». Mercure est aussi le mystagogue, celui qui permet de pénétrer les connaissances secrètes : révéler les mystères, c’est ôter les voiles tout en préservant leur opacité en sorte que la vérité puisse pénétrer et non pas éblouir.

 

En montrant la lumière divine cachée dans les nues, et tournant le dos au monde pour contempler l’au-delà, Mercure poursuit l’action des Grâces amorcée dans leur danse. Il est le guide de l’esprit, symbolisé par les flammes renversées qui figurent sur sa toge.

 

Un cycle complet

Mais la composition est un véritable cycle dans lequel Mercure et Zéphyr se rejoignent.

Tourner le dos au monde avec le détachement de Mercure et retrouver le monde avec l’impétuosité de Zéphyr telles sont les deux forces complémentaires de l’amour, dont Vénus est la gardienne et Cupidon l’agent.

Souffle et esprit étant une seule et même chose, le souffle printanier de Zéphyr (qui dans son aspect sauvage peut aussi être identifié à un satyre ou à Pan, sorte de Mercure terrestre) et l’esprit de Mercure représentent deux phases d’un processus récurrent. Celui qui descend sur terre sous la forme du souffle de la passion, retourne au ciel dans l’esprit de la contemplation.

 

Ainsi se dessine le trajet essentiel dans la métamorphose de l’âme du philosophe, l’amoureux de la sagesse, qui, éveillé par la Beauté, doit faire l’unité en lui pour atteindre sa quête de la vérité.

 

 

(1)  voir l’article « L’amour dans le Banquet de Platon » dans notre revue n°188 p 20

 

 

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