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  • : Le blog de Isabelle OHMANN
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Isabelle Ohmann vous présente ce blog culturel pour partager avec vous le fruit de ses recherches.
Elle anime depuis 25 ans des activités culturelles, conférences, stages et séminaires sur des sujets ayant trait à l'histoire, la philosophie et l'art.
Elle intervient dans de nombreuses associations et apporte sa contribution à différentes publications.
Elle anime des voyages culturels vers différentes destinations (voir rubrique spécifique dans ce site).
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Voyages culturels

Isabelle Ohmann accompagne différents voyages culturels :

Florence des Médicis du 20 au 24 février 2010

Pérou, sur les traces des Incas du 2 au 13 avril 2010

Prague, ville magique du 23 au 27 octobre 2010

Pour plus dinformations, consultez les pages de ce blog
27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:28
Newgrange - entrée du tumulus - photo Isabelle Ohmann

Newgrange - entrée du tumulus - photo Isabelle Ohmann

Au nord de Dublin, la vallée de la Boyne regroupe trois complexes funéraires autour de monumentales tombes à la construction mystérieuse. Ils constituent les plus grands monuments de l’aire mégalithique européenne.

 

La vallée de la Boyne fut occupée depuis sans doute 6000 ans avant J.-C. La rivière Boyne, déjà mentionnée par le Grec Ptolémée, dans sa géographie de l’Irlande, est étymologiquement associée à la sagesse. Entre 4000 et 2500 ans av. J.-C., trois grandes tombes mégalithiques furent érigées au nord de cette rivière, à Newgrange, Dowth et Knowth, tandis que des restes de villages et d’implantation humaine ont été retrouvés sur l’autre rive, au sud. Leur taille énorme et la sophistication de leur construction en font des monuments inégalés en Europe.

 

Un complexe monumental

 

Ces tombes mégalithiques sont un élément culturel très distinctif au sein de la période mégalithique et l’Irlande en compte plusieurs centaines. Quarante retrouvées à ce jour dans la vallée de la Boyne, mais beaucoup d’autres ont été détruites. La plupart de ces tombes se situent dans ou au nord de grandes nécropoles. Les trois tombes monumentales de NewGrange, Knowth et Dowth, elles-mêmes entourées d’autres tombes plus petites, se situent chacune sur les points les plus élevés de la zone. Elles sont ainsi visibles de loin, et en particulier du sud de la rivière où vivaient les populations.

 

Tombes à couloir

 

Ces tombes mégalithiques ont une forme circulaire, bordée par un cercle de pierres gravées de motifs géométriques comme des spirales, triangles, cercles, etc. Elles mesurent une dizaine de mètres de haut. Elles sont construites avec de larges pierres en position verticale (orthostats) et recouvertes de pierre ou de terre, ou les deux comme à Newgrange et Knowth. Elles se composent d’un couloir d’accès qui conduit à une chambre funéraire elle-même composée d’une simple salle ou d’une salle cruciforme. L’existence de ce couloir, mesurant parfois plus de vingt de mètres, explique leur nom de «tombes à couloir». A Newgrange et Knowth, le toit de la chambre funéraire est une construction élaborée en encorbellement maintenue par le contrepoids du tumulus lui-même.

 

Knowth

 

Selon Julian Cope (1), Knowth est l’épicentre de la culture de la Boyne. Knowth est une tombe à passage de quatre-vingts mètres de diamètre entourée de dix-sept tombes satellites à chambre d’environ vingt mètres de diamètre. Son couloir est de trente-cinq mètres de long environ. Elle est orientée à l’est et adossée à une tombe semblable quoique nettement plus petite (trente-quatre mètres de diamètre).

Plus d’un quart des pièces du patrimoine mégalithique européen se trouve à Knowth. La réalisation des tombe est inégalée dans le monde néolithique quand à leur finition et techniques de construction. Knowth compte plus de deux cents pierres gravées parmi les plus belles des mégalithes d’Atlantique. On disait de cette colline, dans les légendes du Moyen âge, qu’elle était une entrée vers l’au-delà ou l’inframonde (le Sid).

 

Newgrange

 

C’est sans doute le complexe funéraire de la Vallée de la Boyne le plus impressionnant. Newgrange est une tombe monumentale de quatre-vingt mètres de diamètres et treize mètres de hauteur ; le couloir d’accès mesure vingt-quatre mètres de long et regarde au sud-est. Sa façade est entièrement réalisée en quartz et le tumulus est bordé de quatre-vingt dix-sept pierres mégalithiques donc certaines gravées. Des objets en quartz, probablement des offrandes, ont été trouvés à proximité de la tombe, ce qui laisse présager d’une valeur symbolique du quartz lui-même. La tombe est entourée d’un cercle de trente-cinq pierres levées et de plusieurs tombes satellites à chambre.

 

Rites funéraires

 

La principale pratique funéraire de l’époque était la crémation. Des dépôts ont été retrouvés dans les chambres funéraires : ossements, mais aussi petits objets. Malgré la difficulté d’identification, il a été estimé que plus d’une centaine de personnes auraient été trouvées à Knowth ce qui confirmerait l’hypothèse d’inhumations successives. De plus, les découvertes archéologiques attestent d’une activité continue et importante autour de ces tombes, notamment à travers des dépôts à l’intérieur et à l’extérieur de ces tombes. Les tombes de la vallée de la Boyne n’étaient donc pas simplement des lieux d’inhumation mais des centres cérémoniels et rituels. Il semble que la pratique de l’inhumation dans les tombes se soit perdue au néolithique, puisque aucun objet postérieur à 2500 av. J.C. n’y a été trouvé. En revanche, les pratiques rituelles à l’extérieur des tombes semblent s’être prolongées beaucoup plus tardivement.

 

Phénomène astronomique

 

Les pierres gravées entourant les tombes laissent penser à la réalisation de processions autour des tumulus, notamment à certaines époques de l’année. A Knowth, compte tenu de l’orientation des tombes, les cérémonies devaient être liées aux équinoxes.

A Newgrange, l’exceptionnelle orientation de la tombe suggère d’importantes cérémonies liées au solstice d’hiver. En effet, l’entrée de la tombe est surmontée de linteau horizontaux séparés et formant une petite fenêtre de vingt-cinq centimètres de hauteur. Le jour du solstice d’hiver, le soleil levant pénètre dans la tombe jusqu’au fond de la chambre funéraire et vient illuminer, pendant une quinzaine de minutes, le bassin en pierre où étaient déposés les restes des disparus. Ce bassin repose dans une niche elle-même décoré d’un motif en triple spirale ou triskell. Sur le coté est du tumulus on a découvert une chaussée orientée exactement selon le lever du soleil au solstice d’hiver.

 

Art chamanique

 

Ce phénomène unique démontre la connaissance technique des habitants de la vallée de Boyne pour être capables de construire de tels monuments. On ne sait rien de la construction de ces monuments ni de la civilisation mégalithiques qui existait en Europe à cette époque. Peut-être sont-ils à rapprocher de la riche tradition d’art chamanique qui débuta en Europe il y a plus de trente mille ans, et dont on trouve de magnifiques témoignages à Lascaux ou Altamira. Ces sanctuaires étaient-ils peints pour faire vivre aux initiés la révélation des mystères du sacré ?  A Newgrange, Knowth et Dowth, il est possible que les premiers constructeurs de monuments aient appris à célébrer leurs propres mystères de la vie et de la mort dans ces temples.

 

  

(1) The megalithic european, Harper Collins Publisher, 2004



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article rédigé par Isabelle Ohmann - isabelle.ohmann.over-blog.com
Tumulus de Newgrange - photo Isabelle Ohmann

Tumulus de Newgrange - photo Isabelle Ohmann

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:25

Dans toutes les traditions, le temple se présente comme le lieu de la présence divine. Il est une porte vers le Ciel, visible comme invisible.

 

Le mot latin templus signifiait tout d’abord un vaste espace découvert de toutes parts sur l’horizon alentour ; puis il désigna plus particulièrement l’espace du ciel où l’on peut observer le vol des oiseaux pour l’interpréter. Finalement il nomma le sanctuaire, lieu de la présence divine. Son étymologie fait donc du temple à la fois un lieu de vision et d’habitation divine.

 

Le temple de la nature

 

Dans l’Antiquité, le temple est la nature elle-même. Sénèque (des Bienfaits) interroge : «qu’est-ce que la nature, sinon Dieu lui-même ?».  Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle rajoute : «Le monde est sacré». Manilius (1er siècle) dans ses Astronomica explique que «le monde lui aussi est un sanctuaire». Pour Plutarque, «le monde est un temple très saint. L’homme y pénètre le jour de sa naissance et il y contemple les objets fabriqués, dit Platon,  par l’Intellect divin pour être des copies des intelligibles». Le monde «est un temple rempli d’une présence divine, un temple où l’on doit se conduire avec la sainte révérence d’un initié.» Pour Philon d’Alexandrie et Plutarque, la vie du philosophe est une « fête spirituelle » contemplant dans le temple qu’est le monde ces mystères que sont les œuvres de la Nature, les beautés du ciel et de la terre.

 

Les mystères d’Eleusis

 

Les orphiques comme Sénèque, assimilent la pénétration du temple de la nature à la révélation progressive des mystères d’Eleusis. Cléanthe compare « la religion cosmique à une initiation.» Aristote, à propos des mystères d’Eleusis déclare que « le premier effet de l’initiation dans le temple mystique du monde n’est pas une connaissance, mais une impression, un sentiment de crainte révérencielle et d’admiration à la vue du divin spectacle offert par le monde visible. » Cette contemplation de la nature qui, selon Sénèque, fait voir les choses d’en haut et affranchit de toute pensée basse, permet de répondre à l’aspiration de l’âme à se libérer de la prison du corps pour prendre son essor dans les vastes espaces du ciel et de la terre.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             

 La crypte du temple

 

Car le monde visible n’est pas seulement un temple. Il est, paradoxalement, la crypte du temple, selon l’expression de Henry Corbin (1). Dans la crypte, l’homme est «exilé», comme l’explique le philosophe arabe Sohrawardi (12e siècle), reprenant sous une forme imagée la célèbre allégorie de la caverne de Platon. Cette entrée dans la caverne, cet exil est dans d’autres traditions symboliquement représenté par la destruction du Temple. L’initiation consiste à sortir de la crypte pour accéder au Temple, c'est-à-dire à se libérer des attaches sensuelles qui rendent l’homme prisonnier d’une illusion, d’un reflet ou encore d’une maya selon l’expression orientale.             

 

Un monde orienté

 

Le temple est le ciel de l’homme et du monde. La capacité de se représenter le ciel spirituel donne une orientation au monde, qui n’est pas géographique mais métaphysique. Le monde a un Orient, lieu de la naissance de la lumière, il a un haut et un bas. Le bas est la crypte du temple cosmique où l’homme est présentement exilé. Le haut est la montagne de la sagesse où trône la lumière de l’esprit, que l’homme doit escalader pour atteindre le sommet qui est à la fois l’au-delà et le sommet de lui-même. Pour trouver le chemin, l’homme doit se retirer dans son temple intérieur, par les yeux de l’imagination active, qui lui permet de reprendre conscience de ses origines véritables.

 

Le double temple

 

Le temple n’est donc pas simplement un habitacle matériel, extérieur. Pour Philon, on peut considérer qu’il y a un double temple cosmique, parce que le cosmos comprend le cosmos sensible «qui est le temple des natures perçues par les sens» et un cosmos intelligible «qui est le temple consacré des natures invisibles» (3) ce qui donna lieu dans la tradition chrétienne au concept de Jérusalem céleste et Jérusalem terrestre.

 

L’âme est un temple

 

Si le macrocosme est un temple, par analogie, le microcosme humain l’est également. L’âme est donc un  temple, en raison de son analogie avec le cosmos, et l’homme est le siège de la lumière spirituelle, tout comme le temple édifice est le siège de la présence divine. Au cœur de chacun se trouve un sanctuaire que Sohravardi désigne comme une « loge ». C’est là que s’opère la rencontre avec l’esprit, la contemplation, qui est l’acte d’entrer dans le temple. Philon dans son traité des Chérubins, décrit l’âme comme un palais prêt à recevoir Dieu.

 

La chevalerie templière

 

Chez les Templiers, le Temple de Salomon est présenté comme le symbole extérieur du temple intérieur à la construction duquel l’ordre était voué depuis l’origine. La construction du temple, intérieur et extérieur, donna naissance à une longue tradition de bâtisseurs compagnons chevaliers s’inscrivant dans une quête spirituelle et initiatique. Car pour construire le temple, il est nécessaire que l’homme devienne lui-même ce temple. «Devenir homme-temple, selon l’expression de Henry Corbin, c’est être soi-même espace de contemplation, et partant, espace consacré.»

 

Le temple intérieur

 

La contemplation fait appel à l’imagination symbolique. L’image du temple (Imago Templi) ou image symbolique libère l’homme de la subjectivité et de la fantaisie. C’est l’image du temple éternel, qu’il s’appelle Temple de Salomon, Mandala, Château du Saint Graal ou «Loge». Car il ne saurait y avoir de contemplation sans «temple».

  

Comme l’écrivait il y a quelques années Fernand Schwarz (4), «Architecture et calendriers ne sont que les projections formelles de réalités structurelles invisibles qui gouvernent l’harmonie du cosmos. Ils permettent au résident impalpable de nos consciences de s’affirmer à l’existence éternelle.»

 

Mais, dans nos sociétés occidentales modernes, la perte de l’imagination, cet espace médiateur qui relie l’homme à Dieu, a fermé les portes du temple. L’enjeu de notre époque est de les rouvrir. De l’intérieur.

 

 

(1)  Henry Corbin, Temple et contemplation, entrelacs, 2007

(2)  Cité par Henri Corbin  p337

(3)  Cité par Henri Corbin  p377

(4)  Le Lieu du Temple, géographique sacrée et initiation, Question de, Albin Michel, 1988

 

A lire également

Pierre Hadot, le voile d’Isis, essai sur l’histoire de l’idée de Nature, nrf essais, Gallimard, 2004



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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:23

Moyens âges et renaissances s’alternent dans l’histoire. Notre époque troublée nous fait aspirer à un monde plus serein et plus solidaire. Avons-nous besoin d’une nouvelle renaissance ?

 

 

Texte

 

Comme nous le savons aujourd’hui, moyen age et renaissance ne sont pas des époques limitées à notre civilisation européenne, mais bien des étapes cycliques que chaque civilisation traverse un jour ou l’autre.

Le moyen age, comme son nom l’indique, est un âge intermédiaire. Il définit en général la période qui sépare une période de civilisation d’une autre. Il peut être passager, comme en Egypte qui connut deux moyens âges, entre l’Ancien empire et le Moyen empire, puis entre le Moyen empire et le Nouvel empire, ou être définitif, comme le moyen age européen qui signa la disparition de l’Empire romain.

 

Civilisations et moyen âge

 

Le moyen âge désigne une période où les structures disparaissent et où les traces de la civilisation s’effacent, laissant un chaos où seuls de petites unités survivent. Les moyens âges sont par définition des périodes obscures qui ne laissent pas de traces dans l’histoire, si ce n’est par leur durée.

Les civilisations, quant à elles, se définissent par l’expression d’une vision du monde et de valeurs dans différents domaines : l’art – on parlera alors du style de cette civilisation ; la forme politique qui permet aux peuples concernés de vivre en paix intérieure et extérieure ; la religion qui unit les individus dans une vision commune de leur destinée et, enfin, la science qui englobe le corpus de connaissances de cette civilisation.

 

Les civilisations meurent lorsqu’elles perdent leurs valeurs et que les individus qui la composent oublient ce qui forgeait leur unité. La recherche de la préservation des richesses, le repli individualiste et la perte du lien social qui s’ensuivent entraînent une fragilisation et la civilisation qui devient une proie pour d’autres conquérants ou commence à s’émietter en parties distinctes de plus en plus petites. Les réalisations matérielles disparaissent à leur tour.

 

La renaissance

 

Le processus de renaissance est un des plus mystérieux de l’histoire. Après l’hiver de la civilisation, d’une durée plus ou moins longue, naît une nouvelle pousse printanière : la renaissance. De nouvelles formes culturelles apparaissent, qu’elles soient artistiques, politiques, religieuses ou scientifiques. Même si les raisons qui favorisent une telle émergence sont loin d’être toutes élucidées, il est clair qu’elle prend racine dans une vision du monde et des valeurs renouvelées qui permettent de revitaliser le passé pour se projeter dans le futur. Pour prendre l’exemple de la renaissance européenne, la redécouverte de Platon et des philosophies du bassin méditerranéen, oubliées en grande partie pendant le Moyen âge, ont permis de susciter une floraison culturelle qui eut un immense impact sur l’Europe entière (1).

C’est par un réenracinement dans son histoire mais aussi par une ouverture aux apports philosophiques et spirituels autres, qu’une civilisation parvient à se régénérer pour donner naissance à une nouvelle époque de lumière culturelle. Ni la politique de la table rase, qui dénie toute valeur au passé et aux traditions, ni le repli sur des valeurs conservatrices qui refuse tout apport extérieur et innovant, ne permettent d’instaurer une véritable renouveau de civilisation. Des exemples récents, comme la révolution marxiste ou les replis intégristes ou ethniques, en sont la preuve.

 

Un nouveau moyen âge ?

 

Un bref regard sur notre civilisation occidentale nous mène à un constat difficile. Nous avons vécu un XXe siècle qui a trahi presque toutes ses promesses, mise à part l’incroyable évolution technologique et scientifique. Deux guerres mondiales, plusieurs génocides et totalitarismes ont engendré près de cent cinquante millions de morts. Notre planète est dévastée par une industrialisation non maîtrisée : fonte des pôles et des glaciers, déforestation massive, pollution des eaux, sans parler des grandes perturbations climatiques comme le réchauffement artificiel de la planète. L’accroissement démographique énorme engendre un ensemble de problème de plus en plus aigus : famines, épidémies, pénurie de ressources essentielles telles que l’eau. La liste est longue.

 

La peur du futur

 

Tout le monde craint l’avenir mais personne n’a le courage d’affronter véritablement la situation et les grandes institutions internationales ont perdu leur protagonisme et leur pouvoir de réunir tous les acteurs afin qu’ils puissent élaborer un plan d’action concerté et solidaire. Bien au contraire, le droit semble s’effacer au profit de la force, comme on a pu le voir récemment pour les conflits internationaux déclarés unilatéralement. On parle maintenant de « nouvelle barbarie » menaçant la civilisation en maints endroits désormais appelés zones de non-droit.

 

Les symptômes médiévaux

 

La barbarie et la recherche de sécurité ne sont pas les seuls symptômes médiévaux. Aujourd’hui, notre civilisation occidentale a souvent tendance à se résumer à la recherche d’un confort de vie inscrit dans une vision du monde a minima, dans laquelle la déclaration des droits de l’homme apparaît de plus en plus comme un vœu pieux. Cet état de fait provoque un individualisme croissant qui entraîne une désertion de l’espace public et de l’exercice de la citoyenneté, marquant la perte du lien social. L’instabilité et le sentiment d’insécurité permanent renforcent le repli sur soi. L’absence de sens, autre que matériel, engendre aussi la recherche d’ouverture à de nouvelles dimensions qui, manquant le plus souvent de discernement, favorisent la prolifération des voyants, jeux de hasards, sectes ou autres charlatans, images d’une superstition moderne.

 

Une nouvelle renaissance ?

 

Nombreux sont ceux qui aspirent à un monde meilleur et plus juste, comme en témoignent l’intérêt et l’appui grandissants pour les actions humanitaires et solidaires. Avec toutefois le sentiment amer qu’il s’agit souvent d’un emplâtre sur une jambe de bois et que soulager la maladie n’est pas équivalent à en supprimer la cause.

 

Nos société modernes se fondent sur un double credo : la démocratie et l’économie de marché. De l’homme et des nécessaires valeurs qui président à sa réalisation et à sa participation à la société, il est de moins en moins question. Or c’est en retrouvant en soi le meilleur de l’être humain, ce qui relie chaque individu à des valeurs universelles, qu’une civilisation peut refleurir. D’où l’intérêt et la nécessité de rendre ce patrimoine humaniste accessible à tous, afin qu’il puisse nourrir une réflexion et une action inspirée par les plus nobles idéaux de l’histoire de l’humanité.

 

Car, contrairement à ce qu’avaient pensé les idéologues modernes, aucune renaissance ne peut venir de l’extérieur. Nous le savons, ni les lois, ni les décrets ne rendent les individus plus moraux. C’est donc à l’intérieur de chacun qu’il faut cultiver les valeurs, les idéaux et les principes qui permettront à l’homme d’abord, puis à la civilisation, de se régénérer. C’est ce qu’avaient compris les anciennes écoles de philosophie qui furent à la base de nombreuses renaissances. 
 

(1) Voir « l’Humanisme, actualité de la Renaissance », par Isabelle Ohmann et Fernand Schwarz, édition Nouvelle Acropole, collection Dossiers spéciaux.

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:19

Véritable rupture avec la pensée médiévale, l’humanisme de la Renaissance plonge ses racines dans l’Antiquité pour mieux s’ouvrir vers le monde.

 

La Renaissance est souvent résumée par le fait du retour à l’Antiquité. Le retour à l’Antique n’est pas seulement la récupération commode d’un savoir passé et oublié. C’est un véritable réenracinement dans la pensée humaine.

 

La tradition de la sagesse

 

L’homme de Renaissance est un homme de tradition : il est héritier du patrimoine de l’humanité. Il s’inscrit dans un sentier d’évolution de l’humanité dont il est une étape. Il réunit, une fois encore, les différents courants de pensée, qui telles branches issues d’un même tronc, se rejoignent pour ne former qu’une seule sagesse. L’homme de tradition est celui qui se préoccupe de récupérer un savoir et un pouvoir oubliés, dont les traces dans les sagesses de l’humanité éveillent en lui la réminiscence et le conduisent à le rechercher activement à l’intérieur de lui-même.

 

Un âge d’or

 

La pensée antique était considérée comme un réservoir de valeurs et d’une vision du monde qui rendait possible la transformation de la société et la construction d’un monde futur, une ère de lumière comme le souhaitait Pétrarque, un nouvel âge d’or qui fut célébré comme tel par les humanistes de la Renaissance.

 

L’humaniste de la Renaissance est proche de l’homme contemporain. Il vit dans une société qui ne lui offre plus de sens et l’enferme dans une pensée dogmatique. Il se sent trahi par un monde qui semble avoir oublié le sens de l’aventure humaine. Etranger à son époque, l’humaniste aspire à se libérer. Il rêve d’une régénération des temps, d’un âge d’or, d’une éclosion de la pensée, d’une profondeur retrouvée de la vie, d’une paix éclairée. Peu à peu ce rêve s’impose à lui comme une nécessité d’une ère nouvelle et d’une nouvelle philosophie de l’homme et de la nature. Il fleurira dans le printemps de la Renaissance.

 

Connais-toi toi même

 

L’humaniste pense que la vie n’est pas seulement quelque chose d’extérieur, comme une suite d’événements ou de circonstances qui s’offriraient à lui. Pour l’homme de Renaissance, la vie a une dimension intérieure, empreinte de magie et de mystère. Cette dimension existe dans l’individu qui possède au fond de lui un dieu caché capable d’éclairer son destin, de le relier aux autres et à l’origine de la création. Nosce te ipsum, Connais-toi toi même, est le premier  péan des humanistes. C’est d’abord en nous mêmes que se trouvent les clés des interrogations essentielles.

 

L’art des correspondances

 

Une autre dimension de la vie se cache aussi dans les profondeurs de l’univers, dans les astres qui animent le monde de leur course et dans les luminaires source de vie pour notre planète. C’est ce que les anciens appelaient « dieux » et que les humanistes redécouvriront à travers un riche monde symbolique.

La rencontre entre la vie intérieure de l’univers et la vie intérieure de l’homme est l’objet de la science hermétique, l’art suprême des relations, celui qui établit des correspondances entre ce qui est en haut et ce qui est en bas. La perception de cette dimension intérieure de la vie est toute l’aventure de l’humanisme de la Renaissance. Percevoir le divin et l’esprit qui se trouve en chaque atome de la vie, en chaque personne, en chaque repli de la nature est la préoccupation constante des humanistes.

 

L’homme artiste

 

Le premier pas pour tenter de capter ces mystères est l’art. L’art est le reflet de la Beauté, dont les humanistes disaient qu’elle était le visage de Dieu. Le beau parle à l’âme un langage qui n’est pas de ce monde : un langage d’harmonie et de pureté qui provoque un sentiment de plénitude et d’exaltation et élève l’âme vers des hauteurs célestes. L’art éveille le sentiment platonicien de la réminiscence, provoquant dans l’âme la nostalgie de son origine céleste.

L’art est le reflet du divin, et l’artiste son prophète : il l’exprime avant tout parce qu’il peut le percevoir grâce à sa sensibilité particulière. Le véritable artiste est d’abord celui qui capte, et non pas un technicien qui maîtrise les formes.

 

La vue intérieure

 

Une des pratiques artistiques majeures de la Renaissance est la poésie, qui est par excellence le langage de l’âme : philosophes, seigneurs, hommes de cour ou artistes, tous pratiquent la poésie, comme une éducation nécessaire de l’esprit et du cœur pour se rendre sensible aux réalités supérieures et pour éveiller donc les perceptions intérieures qui seules ouvrent les yeux de l’âme aux réalités cachées. L’homme de la Renaissance est un voyant et à ce titre est souvent symbolisé par un homme aux yeux bandés pour signifier que son regard n’est pas physique et matériel, mais qu’il s’agit d’une puissance intérieure qui permet de percevoir ce qui est invisible et caché aux yeux physiques.

 

Le langage de l’imaginaire

 

C’est par l’imagination que l’humaniste se relie aux mystères de l’univers. Son âme rationnelle est impuissante à expliquer les réalités spirituelles. Il faut apprendre un autre langage, propre à les rendre accessibles. C’est celui des symboles qui parle à l’imaginaire. Les symboles sont le langage de l’âme : ils sont porteurs de sens. Car les symboles sont le langage que le Verbe divin a semé dans les âmes des hommes diront les Oracles chaldaïques, recueil de la sagesse de Zoroastre. Ils possèdent donc le pouvoir de dévoiler à l’humaniste les secrets de l’esprit et du divin. Ils permettent l’épiphanie, c’est-à-dire l’irruption du sacré dans la vie profane qui en devient ainsi transformée.

 

Le langage de l’âme

 

Ce langage de l’âme est celui des songes, des visions mais aussi l’objet de la philosophie. Il trouve bien entendu son vocabulaire dans les langues sacrées et dans la mythologie antique, qui en deviennent l’outil indispensable. On comprend ainsi la prospérité étonnante des écrits hiéroglyphiques d’Horapollo, censés transmettre la langue symbolique et sacrée de l’Egypte, patrie d’Hermès, et dévoiler le véritable nom des choses, révélateur de leur essence secrète, (conformément aux paroles de la Bible qui parlent du vrai nom des choses et des êtres vivants). Pic de la Mirandole, quant à lui, apportera la sagesse complexe et riche de la Kabbale, langage sacré et symbolique de la tradition hébraïque. Le vrai nom des choses est capable d’influencer de manière décisive leur nature et leur destin.

 

Mythologies

 

La redécouverte des mythes féconde l’imagination de la Renaissance. Car au-delà de leur apparence d’historiettes, les humanistes découvrent des profondeurs complexes de ces récits imaginaires qui, à la fois, voilent les secrets de la nature, et reflètent les mystères de l’âme humaine, de la vie et de l’univers. Ils dévoilent des vérités cachées. L’expression la plus éclatante de leur puissance philosophique dans l’art sera sans conteste celle de Botticelli, particulièrement dans ses tableaux du Printemps et de la Naissance de Vénus. C’est sans doute Giordano Bruno qui portera à une puissance inégalée l’étude philosophique de ces outils de l’imagination.

 

Les pouvoirs de l’homme mage

 

Mais l’humaniste ne se veut pas simplement celui qui contemple les mystères de l’univers. Il veut s’y intégrer comme un maillon vivant dans une chaîne d’or, dont les humanistes disaient qu’elle reliait le ciel et la terre. Acteur dans cette chaîne de relations, l’humaniste devient mage. Le mage est d’abord celui qui peut contempler les structures intimes de la nature et de la vie. C’est l’imitateur, celui qui pratique le grand art de l’imitation, qui n’est bien sûr pas une servile copie de la nature, mais le grand art de l’observation de la nature, de ses pouvoirs intimes, de ses formes qui révèlent son intelligence, visage de l’intelligence divine, Verbe ou Logos, et dont Léonard de Vinci fut le plus grand maître. C’est parce qu’il est saisi d’admiration que celui qui contemple la beauté se transforme en mime, rendant possible, par cette sorte de communion spirituelle, sa métamorphose en un être supérieur.

 

 

Ethique et esthétique

Ainsi le parcours de l’humaniste doit gravir trois échelons qui le mèneront à la pleine rencontre avec ces dimensions cachées de l’existence : l’imitation, art d’observation de la vie, phase d’apprentissage et de découverte, qui est la découverte du Beau à travers les formes harmonieuses de la nature ; la purification des pensées, des sentiments et des actions, à travers une vie philosophique, dont l’exemple sera l’Académie platonicienne de Carreggi et son mentor Marsile Ficin. Ces deux aspects permettront au philosophe d’unir esthétique et éthique Alors seulement, pourra prendre place l’acte magique, fruit de la conjugaison d’un savoir et d’un pouvoir, véritable cérémonie d’union de l’homme aux forces de la vie, au service non pas de lui-même, mais d’une plus grande harmonie dans les plans de l’existence manifestée. L’image des Trois grâces, Beauté-Chasteté-Volupté, tant prisée à la Renaissance, illustrera ce triple parcours.

 

La quête de l’harmonie

 

L’harmonie est sans doute le maître mot de la Renaissance. Elle est l’art difficile de relier les contraires, le ciel et la terre, et c’est, par excellence, l’art d’Hermès qui connaîtra un élan extraordinaire à cette période, soutenu par la redécouverte et la diffusion du Corpus Hermeticum, ensemble des écrits hermétiques datant de la période hellénistique.

 

Le premier terrain de l’harmonie est l’homme, dont Pic de la Mirandole disait qu’il était le nœud du monde, c’est-à-dire le lieu où se rencontraient le ciel et la terre. Celui lui confère une double nature qui amène l’homme à pouvoir faire tour à tour, l’ange ou la bête. L’harmonie dans le monde et autour de lui est aussi la préoccupation de l’humaniste : la suprématie de la paix sur la guerre, de la concorde sur la discorde, seront les grandes préoccupations de l’époque. Les humanistes sont des idéalistes qui rêvent d’une société pacifique et leurs rêves se traduiront souvent par des projets littéraires ou architecturaux de cités utopiques. L’harmonie bien entendu est aussi la grande clé de l’art, de la peinture à l’architecture en passant par la sculpture, un art de relations entre toutes les parties.

 

Ficin et Pic de la Mirandole se feront les chantres d’une concorde religieuse, la pax theologica, et l’on retiendra bien sûr la grande figure d’Erasme qui luttera contre les guerres et les conflits de toutes sortes.

 

La recherche de l’harmonie est la quête du divin, puisqu’elle permet de dévoiler l’unité qui naît de l’équilibre entre les parties. La quête de l’unité qui se cache dans la multiplicité des visages de la vie est cette voie mystérieuse qu’empruntent les humanistes, de Pétrarque à Pic de la Mirandole, car elle est l’empreinte visible de la divinité. Est divin celui qui peut s’unir à lui-même ; est divin celui qui peut vivre à l’unisson de l’univers ; est divin celui qui peut unir le passé et le futur, l’histoire et le présent ; est divin celui qui peut unir les forces du ciel et de la terre.

 

 

Vous pouvez librement citer cet article en mentionnant : 
article rédigé par Isabelle Ohmann - isabelle.ohmann.over-blog.com  

 

 

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:17

La tradition des mages se répand tout d’abord dans le christianisme d’Orient. C’est à la suite des contacts développés au Moyen âge avec l’Asie que leur popularité gagna l’Occident.

Ces personnages étaient à la fois Rois et Mages - c'est-à-dire souverains dans leur pays, représentants de l'autorité temporelle mais aussi investis d'une formidable autorité spirituelle et possédant la plus haute science qui soit : celle de la Magie, la science des sciences. Ils sont donc rois et mages à la fois.

 

Les trois rois mages

 

A partir du VIe siècle on les différencia (Gaspard, Melchior, Balthazar), et on les assimila aux trois âges de la vie (jeunesse, maturité, vieillesse). Ils représentent le temps humain mais aussi le temps cosmique : le mage âgé exprime le passé, le mage adulte, le présent et le mage le plus jeune, le futur, réunis autour du Christ cosmocrator.

 

Plus tard on leur attribua des races différentes, symboles des trois races humaines de la Bible, chaque mage étant un descendant de chacun des fils de Noé. Les atlas du XIVe siècle les dispersent sur les trois continents du monde connu : Gaspar en Asie, Balthasar en Afrique, Melchior en Europe. Ainsi Gaspard était jaune, Balthazar noir, et Melchior blanc symbolisant ainsi l'ensemble de l'humanité.

 

Tous les Pères de l'Eglise s'accordent sur la signification symbolique des trois présents : Melchior offre de l'or, symbole de la royauté et du pouvoir matériel, Gaspar de l'encens, symbole de la prière et de la divinité, et Balthazar de la myrrhe, symbole de la souffrance, donc de l'humanité, mais aussi de l’immortalité, car la myrrhe servait à l’embaumement des corps. L’or, l’encens et la myrrhe étaient respectivement destinés aux trois visages du Christ en tant que roi, dieu et homme.

 

La tradition des mages à Florence

 

Un culte particulier voué aux mages s’était implanté à Florence vers la fin du XIVe siècle : il est rapporté qu’en 1390 au moment de l’Epiphanie, un cortège à cheval représentant le pèlerinage des trois Mages avait relié San Marco au Baptistère, devenu pour l’occasion le symbole du temple de Jérusalem. On connaît également l’existence, au début du XVe siècle, d’une Confrérie des Mages, dont le siège aurait été dans la maison des Ubriachi au-delà de la porte San Frediano, et qui se réunissait dans l’église dominicaine de San Marco. Cette confrérie pourrait n’avoir été qu’une association laïque destinée à organiser des fêtes ou peut-être une sorte de société secrète reliant des personnages importants de la ville, s’appuyant sur une symbolique qui offrait la possibilité de la sacralisation du pouvoir.

 

Les Médicis et les Mages

 

Dès son retour d’exil en 1434, Cosme de Médicis devient le parrain et le mécène de la Confrérie des Mages, et participe activement à l’organisation des fêtes. En 1439, année du Concile d’Union des Eglises qui se tenait à Florence, la fête fut jumelée à celle de la Saint Jean. En 1443, Cosme inaugura – ou reprit – la tradition d’une offrande de chandelles de cire qu’il apportait personnellement au couvent de San Marco le jour de l’Epiphanie. Il existait, durant la période solsticiale, de nombreux rites accomplis avec les bougies, symbolisant le feu et la lumière, images du soleil prêt à renaître.

La fête des rois Mages devint ensuite plus institutionnelle, au fur et à mesure de l’influence grandissante des Médicis à Florence. En 1447 on décida de célébrer somptueusement les Mages tous les cinq ans et de lever des impôts pour cela, et  la Seigneurie désigna une commission, (le plus souvent dirigée par des hommes de confiance des Médicis) chargée du déroulement des réjouissances. En 1459, le rôle du plus jeune des rois mages, Gaspar, aurait été tenu par Laurent le Magnifique, âgé de dix ans à l’époque.

 

Les rois mages de Gozzoli

 

[Icono : la procession des rois mages, Benozzo Gozzoli, fresque, Chapelle du Palais Médicis, Via Larga]

 

La fresque des rois mages la plus connue concernant les Médicis se trouve dans la chapelle du Palais Médicis, via Larga. Cette fresque est réalisée dans l’endroit le plus intime du palais des Médicis, tout comme au couvent San Marco, où elle sera représentée dans la cellule de Cosme. Elle représente la procession de mages dans un décor féerique, traité avec la minutie propre aux artistes du gothique international. On peut y voir une fresque de l’époque où Florence fut le siège du concile d’Union des églises romaine et byzantine.

 

Sur la droite, le mage âgé à la barbe blanche, vêtu de rouge et chevauchant une mule, serait Joseph, le patriarche de Constantinople, venu pour le Concile d’Union à Florence où il mourut (il est enterré à Santa Maria Novella). Il évoque Balthazar le mage âgé porteur de l’encens.

Au centre, le mage adulte au teint basané à la barbe brune, somptueusement vêtu de vert et d’or, et portant couronne serait le basileus Jean VIII Paléologue, l’empereur byzantin qui avait œuvré pour l’union entre les deux Eglises. On le reconnaît à son chapeau et à sa barbe (les florentins sont imberbes et les orientaux, au contraire, toujours représentés avec une barbe).

 

Les nouveaux rois

 

A gauche, le jeune homme imberbe vêtu de blanc est Laurent le Magnifique, le fils de Pierre, sous les traits du jeune mage Gaspar, porteur de la myrrhe. Le prénom de Laurent est symbolisé par le laurier qui entoure la tête du jeune prince. Le jeune Médicis est héroïsé et s’inscrit ainsi dans la lignée des seigneurs régnant sur l’Orient et l’Occident. Il symbolise la dynastie Médicis tout entière.

Derrière lui on peut identifier au premier rang à cheval, Cosme l’ancien vêtu de noir et son fils Pierre, dit le Goutteux, en tunique noire brodé or.

Un peu plus à gauche, on reconnaît, tête nue, Sigismond Pandolfe Malatesta et à ses côtés, Galeazzo Maria Sforza monté sur un cheval blanc. Derrière lui, on identifie de part et d’autre d’un inconnu coiffé d’un bonnet marron, à gauche, Laurent le magnifique et à droite son frère Julien, tous deux âgés d’une dizaine d’année. Au dessus de la tête de Laurent, le peintre lui-même s’est représenté avec un bonnet où l’on peut lire opus Benotii. Derrière lui, on pense reconnaître le pape humaniste, Silvio Piccolomini, Pie II, coiffé d’un capuchon rouge.

 

On pourra souligner également que vers 1446-1447 l’entourage de Fra Angelico, dont Benozzo Gozzoli faisait partie, avait peint une adoration des mages dans la cellule du couvent de San Marco, où Cosme de Médicis se retirait pour méditer. On a pu voir dans cette fresque la rencontre entre l’Orient et l’Occident, présidée par Hermès, père de la sagesse, et la confirmation de la valeur symbolique que les premiers Médicis accordaient à cet événement biblique.

 

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:16

Chapeau

Barbares, brigands ou civilisateurs ? Les Phéniciens furent les maîtres de la Méditerranée pendant des siècles. Du Liban à Carthage, leur culture laissa des traces profondes dans le pourtour méditerranéen.

 

Texte

Les Phéniciens conquirent la Méditerranée et furent d’excellents navigateurs. «Ils furent les premiers à sillonner et maîtriser les mers» dit Homère. Mais de l’Antiquité au XIXe siècle, les Phéniciens ont souffert d’une mauvaise image : «experts en tromperie» «brigands» «roublards» disaient d’eux les Anciens.

 

Une origine incertaine

Si l’origine géographique des Phéniciens est localisée sur les côtes maritimes de l’actuel Liban, leur histoire est plus incertaine, vu le manque de documentation disponible sur cette civilisation. On trouve des vestiges d’une culture imposante datant du IIIe et IIe millénaire sur les côtes libanaises, en particulier à Baalbek ou Byblos considérée comme l’une des plus anciennes villes du monde. On y retrouva de nombreux cadeaux des souverains égyptiens dès l’ancien empire, témoignant du prestige et du rayonnement de cette civilisation protohistorique, mal connue.

Néanmoins les historiens s’accordent à dater les premières villes phéniciennes du tournant du Ier millénaire. Ce furent Byblos, Tyr ou Sidon et, plus tard, Carthage.

 

Un moyen age méditerranéen

A cette époque, le moyen age qui s’abattit sur le monde méditerranéen semble avoir favorisé leur expansion. L’invasion des Doriens entraîna la chute du monde grec, tout comme celle des Peuples de la Mer produisit une régression des civilisations égyptienne comme babylonienne. L’insécurité qui menaçait le commerce continental, mais aussi la disparition de la concurrence de la thalassocratie achéenne, poussa les Phéniciens vers la mer.

 

Les Phéniciens découvrent l’Occident

Les marins et négociants phéniciens cherchèrent des débouchés vers l’Ouest. Tyr et Sidon s’assurèrent la suprématie à Chypre, en Cilicie et en Crète. Ils occupèrent Malte, fondèrent  des comptoirs en Sicile et à Milet. En l’an mille ils atteignirent Gibraltar, franchirent le détroit et créèrent un établissement à Gadès (Cadix) où ils se mirent en rapport avec le royaume de Tartessos qui occupait le bassin du Guadalquivir. Plus avant, les marins tyriens fondèrent un comptoir à Lixos, sur la côte marocaine. En 814 Tyr fonde la colonie de Carthage qui, en moins d’un siècle, devait dominer la navigation de la Méditerranée occidentale.

 

Jérusalem, capitale économique

Dans le même temps, détourné de Babylone, le commerce des Indes prit la route de la Mer Rouge, transformant ainsi Jérusalem qui contrôlait la route de Tyr à la Mer Rouge, et le royaume hébreu gouverné par Salomon (973-936), en plaque tournante commerciale et centre économique de première importance. Salomon fait construire par les Tyriens un port à Asiongaber sur la Mer Rouge et lance une flotte montée par les marins phéniciens. Le Livre des Rois dans la Bible relate l’amitié qui liait le roi Hiram de Tyr et le roi Salomon, qui fit appel au premier pour construire le temple de Jérusalem avec les cèdres du Liban. Les relations entre ces deux grands rois restèrent, pour l’histoire, marquées par les concours de sagesse, où chacun posait à l’autre une énigme à résoudre.

 

Egypte, mère des Phéniciens

Mais l’influence prépondérante qui s’exerça sur la civilisation égyptienne provient sans aucun conteste de l’Egypte. Au IIIe millénaire av. J.-C. les Egyptiens avaient ouvert un comptoir à Byblos et avaient conclu des traités d’amitié avec les rois de cette cité. Dès 2600 av. J.-C. Byblos possèdera un temple égyptien et l’art phénicien sera fortement imprégné de style égyptien. De même, pour les Egyptiens, c’est à Byblos qu’Isis viendra chercher le corps d’Osiris, son époux, tué par son frère Seth et les Egyptiens appelaient Hathor la « Maîtresse de Byblos ».

 

Aux sources de la Grèce

Byblos reste à jamais associé à la découverte de l’alphabet. En grec, byblos veut dire livre (d’où est resté le nom de la Bible). En baptisant la ville ainsi, les Grecs reconnaissaient le rôle essentiel des Phéniciens dans la diffusion de l’écriture. C’est le mythe d’Europe qui en garde trace, à travers Europe, une princesse phénicienne enlevée par Zeus qui légua son nom au vieux continent témoignage de la reconnaissance des grecs pour l’apport de la civilisation phénicienne.

 

Un peuple de marchands

Avec leur conquête maritime les villes phéniciennes devinrent le grand marché des minerais d’argent de cuivre et d’étain de toute la Méditerranée. On y trafiquait les esclaves enlevés sur les côtes, on exportait les produits manufacturés d’Egypte comme les épices des Indes. C’est une oligarchie d’armateurs et de marchands qui gouverne les villes phéniciennes où, comme le dit la Bible «les marchands sont plus riches que des rois». A Byblos, le roi Zarkal est un homme d’affaires qui tient une rigoureuse comptabilité de ses ventes. La prospérité économique poussa la ville de Tyr à se constituer en république (vers 450) ; elle devint un véritable empire maritime dans lequel les comptoirs fondés sur la côte africaine, en Sicile, en Sardaigne ou en Espagne restaient groupés près de la métropole en envoyant une dîme prélevée sur les transactions maritimes et commerciales. L’instauration d’un monopole des transports que personne ne pouvait leur contester assura aux Phéniciens une prospérité économique durable.

 

Carthage, capitale du monde phénicien

Après la conquête perse des villes de la côte proche orientale, Carthage devint vers le Ve siècle, le centre de l’empire maritime des Phéniciens. A l’image de sa métropole, Tyr, Carthage était une république aristocratique, dont les institutions ressemblaient à maints égards, à celles des cités oligarchiques grecques. Mais, alors qu’à la même époque les cités grecques luttaient entre elles, aucun conflit n’éclata jamais entre les colonies phéniciennes. Carthage était à la tête d’un magnifique empire, donc les ressources dépassaient largement celles d’Athènes et de Syracuse, sa principale rivale.

 

La généalogie des dieux

En 1930 la découverte des textes d’Ougarit (côte de actuelle Syrie) livra un nombre important de textes mythologiques et liturgiques datés du IIe millénaire. Déjà, en étroite relation avec les Phéniciens depuis le IIIe millénaire, les Egyptiens nous ont transmis les noms de deux divinités locales archaïques : El, le dieu des dieux, et sa femme Ashérat, déesse d’un arbre. Pour les Egyptiens, El, père des dieux et des hommes, fut assimilé au démiurge Rê : on l’appelait le «Rê du pays étranger». Ashérat, littéralement «celle qui anime le tronc d’un arbre» fut reliée à Hathor, «la Dame du sycomore». Il semble que El ait été un dieu commun à tous les Phéniciens. Il était représenté avec deux paires d’yeux, dont une fermée et quatre paires d’ailes, dont deux déployées et deux pendantes, symbolisant son pouvoir de dormir en veillant, de veiller en dormant, de voler en se reposant et de se reposer en volant. Il semble aussi possible de postuler l’existence d’un être surnaturel personnifiant la mort appelé Môt.

 

La religion phénicienne

La religion phénicienne est polythéiste et vénère un grand nombre de dieux rassemblés dans un panthéon appelé « la sainte assemblée ». Elle comprend des dieux principaux accompagnés de divinités mineures. Néanmoins chaque cité s’est choisi un protecteur particulier et vénère un petit nombre de dieux locaux, en général une triade. C’est ainsi qu’à Byblos, outre El et Adonis, est vénérée la Baalat Gubal, ou Dame de Byblos, en tant que protectrice de la cité et de la dynastie royale. Parfois personnifiée avec les traits de la déesse égyptienne Hathor, elle incarne la fécondité et engendre dieux, hommes et plantes.

Les voyageurs grecs en terre phénicienne opèrent des rapprochements entre les dieux locaux et grecs. Ainsi Melqart le dieu de Tyr était pour eux Héraclès, et la triade de Sidon fut associée aux dieux grecs : Astarté devint Aphrodite, Eshmoun le dieu de la santé fut assimilé à Asclépios et Baal, dieu tout puissant porteur de la foudre, à Zeus lui-même.

 

Les cultes

Chaque Etat phénicien avait donc son culte propre et vénérait ses dieux tutélaires particuliers.

La religion phénicienne se caractérise également par une vénération particulière des éléments et phénomènes naturels. L’Ancien Testament rapporte le témoignage de cultes de forêts ou de montagnes sacrées. Sur le Mont Tabor (Syrie) on vénérait à l’époque romaine un Baal de la Montagne, identifié à Zeus. Des pierres dressées, bétyles, pouvaient également être adorées comme manifestation de la présence divine. Le culte du bétyle, littéralement « maison de dieu » est attesté depuis le IIIe millénaire, comme par exemple dans le Temple des Obélisque de Byblos. Les rituels funéraires font coexister ou alterner l’incinération et l’inhumation, où le mort était toujours accompagné d’un mobilier funéraire. Les restes des personnages importants pouvaient être placés dans des sarcophages anthropomorphes de type égyptien ou hellénisant. Les textes attestent de la croyance à une communication possible entre les vivants et le royaume des Morts.

 

Carthage, une religion sanguinaire ?

A partir du Ve siècle se répand le culte des divinités typiquement carthaginoises que sont Tanit et Baal Hammon. Baal Hammon, seigneur du feu et de la chaleur, dans lequel les Grecs voyaient Chronos dévorant ses propres enfants en référence aux sacrifices humains qui lui étaient attribués, reste néanmoins un dieu à l’interprétation incertaine. Tanit, quant à elle, partage avec Astarté un grand nombre de fonctions et se présente comme médiatrice entre les fidèles et Baal Hammon.

A Carthage, la découverte dans un sanctuaire consacré à Tanit, le Tophet, de plus de vingt mille d’urnes et stèles funéraires comportant des ossements d’enfants, a accrédité la thèse de meurtres rituels de nouveaux-nés lors d’un sacrifice appelé molk dans l’Ancien Testament. Il semble aujourd’hui que le Tophet était tout simplement le lieu où étaient brûlés et ensevelis les enfants morts-nés à part, comme souvent dans les diverses sociétés antiques, où le très jeune enfant n’était pas considéré comme membre à part entière de la société civile.

 

L’incompréhension de certains rites ainsi que les nécessités politiques encouragèrent sans doute les campagnes de calomnies dont les Phéniciens furent victimes dès l’Antiquité, qui les accusa d’actes qu’ils n’avaient jamais commis (comme le rapt des femmes d’Argos et le commerce des enfants) et de cultes sanguinaires (la folie meurtrière du culte de Baal décrite par Diodore de Sicile) trop exagérées pour ne pas être de la propagande.  Mais cette campagne calomnieuse trouvera ses prolongements dans l’imagerie du XIXe siècle, auquel les interprétations du célèbre roman Salammbô de Gustave Flaubert apporteront leur part, brouillant un peu plus dans les mémoires l’image du peuple phénicien.

 




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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:15

C’est au XIIe siècle que Tomar devient la capitale des Templiers. Bati à l’intérieur de l’enceinte du château des Templiers, le couvent du Christ est célèbre pour sa fenêtre manuéline.

 

Texte

Avec ses lignes ondoyantes qui s’étendent dans l’espace, la fenêtre de Tomar est l’image de la puissance du Portugal, conquérant des mers et propagateur de la foi. C’est ainsi que l’on voit un personnage (un capitaine ?) qui soutient à bout de bras deux mâts ou piliers, autour desquels s’enroulent des algues, des coraux et des cordages, allusion évidente au monde maritime et aux Grandes Découvertes. Aux extrémités, deux sphères armillaires encadrent le blason de Manuel 1er et la croix évidée de l’Ordre du Christ qui rappellent aussi que Tomar fut l’avant poste chrétien de la Reconquista.

Mais derrière ces affirmations de puissance, la fenêtre de Tomar porte un message symbolique sur la destinée.

 

Le parcours de l’homme

Ce sont les deux piliers qui l’encadrent qui donnent le sens de cette réalisation. Sur le pilier de gauche, au sommet, les anges symbolisent l’état de l’homme accompli. De l’autre coté, un héros, ressemblant à Hercule, montre que l’homme doit guerroyer pour parvenir à cet idéal d’accomplissement.
Au dessous, sur la colonne de gauche, la chaîne parfaite symbolise la perfection, tandis que sur la colonne de droite la ceinture signifie la nécessité de l’ajustement pour les hommes.
A gauche, des racines coupées sont représentées, tandis qu’à droite elles plongent profondément dans la terre, rappelant que le monde des hommes est ancré dans la matière.
Le monument lui-même est entouré d’une corde qui sépare le monde souterrain du monde supérieur, mais aussi le sacré du profane, délimitant ainsi l’espace sacré du temple. La corde symbolise aussi la nécessité de contrôler ses énergies inférieures.

Les quatre éléments

En observant bien la fenêtre, on peut observer en bas, une figure énigmatique coiffée d’un chapeau (le « capitaine »), de laquelle partent les racines d’un chêne, dont le développement est la fenêtre elle-même. La fenêtre est donc un arbre, structurée en quatre éléments. En bas, le monde physique, la terre, où l’arbre plonge ses racines. Ensuite la corde marine délimite le monde psychologique, le monde des eaux, symbolisé par le cheval, comme celui de Poséidon qui, dans la mythologie grecque, représente les eaux psychiques.
Tout en haut, dans la rosace, s’exprime le souffle divin dans le mouvement des ailes tournoyant dans l’embrasement.


Un âge d’or

De l’autre côté du mur, sur la face nord du chœur manuelin, pendant exact de la figure coiffée d’un chapeau, une autre figure énigmatique est située dans un nœud de corde en forme de cœur ou de caducée et au milieu de racines d’arbre, mais d’un arbre sec cette fois-ci. Ceci nous rappelle le symbolisme de la divine Comédie qui parle de l’arbre sec qui va reverdir et refleurir, symbole largement employé dans la Renaissance italienne. De même les rois portugais de l’age des découvertes pensaient revivre un âge d’or, époque qui voyait refleurir la civilisation.

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:11

Sans doute le plus célèbre tableau du peintre florentin Botticelli, « Le Printemps » paraît représenter et fêter l’arrivée des beaux jours. Mais inspiré de la philosophie platonicienne, c’est un chef d’œuvre aux significations profondes.

 

 

Au milieu d’un bosquet d’orangers apparaît sur une prairie, Vénus, la déesse de l’amour. Ce décor symbolise sans doute le jardin sacré de la déesse qui était situé, selon la mythologie, dans l’île de Chypre. Le tableau se lit de droite à gauche.

 

Selon le récit d’Ovide, dans le jardin des Hespérides, le dieu du vent, Zéphyr aurait été pris en voyant la nymphe Chloris d’une sauvage passion et l’aurait poursuivie et prise de force pour femme. Mais après s’être repenti de sa fougue, il l’aurait changée en Flore, reine de l’éternel printemps, et lui offrit le royaume des fleurs. Flore est ainsi la déesse de la jeunesse et de la floraison, protectrice de l’agriculture et de la fécondité féminine. Elle sème des fleurs sur la terre, indiquant par là son pouvoir fécondant. Au centre, souveraine de ce bosquet, Vénus se tient un peu à l’arrière, comme si elle voulait laisser passer sa suite devant elle. Au dessus de la déesse, les orangers se referment en demi-cercle, comme une auréole qui entourerait la déesse, et son fils, Eros décoche ses flèches d’amour, les yeux bandés. A gauche nous voyons les trois Grâces, compagnes de Vénus, dansant une ronde pleine de charme.Elles sont suivies de Mercure, le messager des dieux, qui ferme le tableau sur la gauche. Il tient de la main droite son caducée afin d’éloigner les nuages menaçant de pénétrer dans le jardin de Vénus. Il tourne le dos à la composition comme s’il voulait s’en isoler. Mercure est ici le protecteur d’un jardin dans lequel il n’y a pas de nuages et où règne la paix éternelle. La vaillance de Mercure dans sa fonction de gardien du bosquet est illustrée par la présence du sabre à son côté gauche.

 

L’éternel printemps

 

Le jardin est symbole de paix et du printemps éternels. Le tableau reflète toutefois un symbolisme plus subtil. Il symbolise le chemin de l’âme vers le divin : l’entrée de l’âme dans le jardin du monde et son chemin de perfectionnement, de la voie de l’amour sensible à celle de l’amour pur qui conduit à la contemplation des vérités éternelles.

Dans sa composition, le tableau présente deux parties qui s’harmonisent autour de l’axe représenté par Vénus. Ces deux parties illustrent le double visage de Vénus symbole de la dualité de l'âme : Vénus Pandemos attirée par les plaisirs terrestres, et Vénus Ourania qui tend vers la félicité céleste. Ces deux visages de l’amour, amour céleste et amour profane, sont représentés par les deux triptyques du tableau qui décrit les métamorphoses de l’amour qui se déploient dans le jardin de Vénus.

 

Zéphyr, Chloris et Flora

Dieu du vent, Zéphyr pénètre plutôt violemment dans le jardin au point que les arbres ploient. Il gonfle puissamment ses joues pour en faire sortir des souffles chauds. Il poursuit la nymphe habillée de voiles transparents, et qui le regarde avec effroi. Il symbolise la passion débridée. Botticelli a représenté la métamorphose de la nymphe Chloris en Flora, comme un changement de nature : la naïve Chloris est transformée en beauté victorieuse, comme fruit de la réunion de la passion et de la pureté.

 

Dans une autre clé, selon l’orphisme, l’âme entre dans l’univers, portée par les vents. Zéphyr, le ténébreux, s’introduit dans le jardin du monde et y fait entrer l’âme/Chloris, l’étoile céleste, tout en semblant la retenir, comme l’amour passionnel ralentit l’avancée vers le monde céleste.

 

Flore, l’âme-fleur est la figure de la beauté terrestre, qui n’est pas seulement belle elle-même, mais qui, en semant ses roses, embellit le monde. Flore représente la seconde Vénus, la Vénus terrestre ou Vénus pandemos. C’est la mère de la vie.

 

Vénus

 

Loin d’être l’incarnation de l’amour charnel, Vénus, comme axe du tableau, symbolise l’idéal humaniste de l’amour spirituel qui, avec l’ascèse de l’âme, permet son élévation vers les hauteurs de l’intelligence pure. Telle la Diotime du Banquet de Platon elle montre la voie de la beauté et de l’amour célestes.

 

Selon Platon, la communion entre les mortels et les dieux s'établit par la médiation de l'Amour (1) . Cet Amour est personnifié par Vénus au centre d'un processus qui relie les dieux et les hommes, rythmé en trois temps : l'émanation, qui est la création, la conversion ou le rapt, qui produit une extase vivifiante d'où jaillit l'Amour, et la réintégration ou perfectionnement, qui permet le retour au ciel et la réunion avec les dieux. Comme le disait Jorge Livraga, Botticelli présente Vénus «qui domine le passé, le présent et le futur. C'est l'axe central. C'est l'Amour platonicien qui domine tout ce qui est manifesté et se concrétise selon les besoins et le degré de conscience de chacun ».

 

Vénus lève la main vers les trois Grâces en signe de modération. Déesse de la concorde et de l’harmonie, Vénus est représentée, dans le néo-platonisme renaissant, comme une déesse bienfaisante, paisible et mesurée. Elle semble enceinte, comme pleine de l’harmonie du monde.

 

Les trois Grâces

 

Les trois grâces représentent les trois visages de l’amour. Selon la clé chrétienne, elles sont les vertus théologales : Foi, espérance et Charité. Dans la clé néoplatonicienne, ce triptyque présente Pulchritud-Amor(Castitas)-Voluptas, la Beauté, l'Amour (chaste), le Plaisir. Selon Ficin « l'amour commence par la beauté et se termine en plaisir. » Dans l’itinéraire qui comble l’âme, l’art est le premier degré par le plaisir de la beauté, et la joie de la contemplation est le dernier degré de ravissement de l’amour sacré.

 

La première Grâce est Beauté. Dans l'art de la Renaissance, la place de la Beauté est centrale, tenant un rôle quasi mystique. Les artistes et les poètes ont la faculté prophétique de voir le Beau et ainsi exciter l'amour de la connaissance. C'est par l'expérience de la Beauté, reflet de Dieu que l'on parvient à s'élever à la vision du divin. "La beauté du monde est la splendeur du visage de Dieu" dit Ficin. Selon l’enseignement platonicien, le philosophe doit extraire de la beauté sensible ce qui doit favoriser l’ardeur de l’amour supérieur. La Beauté est aussi, selon l’enseignement platonicien contenu dans le Phèdre, la seule représentation qui peut éveiller dans notre âme la réminiscence des beautés célestes qu’elle a contemplées avant son entrée dans le monde. C’est pourquoi, pour les philosophes de la Renaissance, la Beauté est spirituelle.

 

L’amour et le plaisir

 

La grâce du centre, est  l’Amour. On l’identifie également à la Chasteté. C’est l’amour pur, non souillé de désir sensuel, car seul l’amour chaste conduit à la vraie jouissance de la beauté. Elle se distingue des autres en ne portant aucune parure.

Elle nous tourne le dos, pour marquer que la conversion aux choses divines implique de se détourner de ce monde pour s'ouvrir au Tout Autre. Cette fonction de médiateur de l'Amour correspond à la définition donnée par Platon dans le Banquet, à savoir que « l'Amour est le Désir éveillé par la Beauté. » Seule la force vivifiante de l'Amour peut parvenir à unir les contraires, si l'Amour contemple le Tout Autre.

La troisième grâce est le Plaisir. Le plaisir n’est pas la volupté sensuelle, mais au contraire, représente la joie, ultime but du philosophe, qu'il doit conquérir par cette contemplation du Tout Autre. Cette joie (l'eudaimonia des anciens) est le bien suprême.

 

Cupidon

 

Cupidon est le fils de la Vénus céleste et décoche ses flèches sur Amour/chasteté. Dans la mystique de la Renaissance, Cupidon va inspirer à l’amour chaste un désir éveillera la volonté assoupie de l’âme et la propulsera dans sa quête. Ce sera une fureur héroïque qui conduira l’âme vers le supérieur. Ses yeux sont bandés car selon Pic de la Mirandole « Orphée dit que l'amour est 'sans yeux' parce qu'il est au-delà de l'intellect ». Pour connaître la nature divine de l'âme immortelle cachée au fond de soi, il faut développer un regard intérieur, symbolisé par les artistes de la Renaissance, comme un aveuglement physique.

 

Mercure

 

Situé à la fin du tableau, Mercure annonce le but ultime du voyage d’amour. Par son caducée brandi vers le ciel, il invite à la vision extatique qui s’obtient par l’union avec l’esprit.

 

Par tradition Mercure est le guide et l’escorte des Grâces. « L'intelligence suit le plaisir, qui est le bien suprême, le plus authentique et le plus durable. » dit Pic de la Mirandole. Car ce sont les sentiments supérieurs, tels la joie authentique, qui permettent l’éclosion de la sagesse, c'est-à-dire l’intelligence qui guide la personnalité humaine. Mercure chasse les nuages de la pensée et dissipe les troubles mentaux nés des passions ombrageuses, et les « sottes opinions ». Mercure est aussi le mystagogue, celui qui permet de pénétrer les connaissances secrètes : révéler les mystères, c’est ôter les voiles tout en préservant leur opacité en sorte que la vérité puisse pénétrer et non pas éblouir.

 

En montrant la lumière divine cachée dans les nues, et tournant le dos au monde pour contempler l’au-delà, Mercure poursuit l’action des Grâces amorcée dans leur danse. Il est le guide de l’esprit, symbolisé par les flammes renversées qui figurent sur sa toge.

 

Un cycle complet

Mais la composition est un véritable cycle dans lequel Mercure et Zéphyr se rejoignent.

Tourner le dos au monde avec le détachement de Mercure et retrouver le monde avec l’impétuosité de Zéphyr telles sont les deux forces complémentaires de l’amour, dont Vénus est la gardienne et Cupidon l’agent.

Souffle et esprit étant une seule et même chose, le souffle printanier de Zéphyr (qui dans son aspect sauvage peut aussi être identifié à un satyre ou à Pan, sorte de Mercure terrestre) et l’esprit de Mercure représentent deux phases d’un processus récurrent. Celui qui descend sur terre sous la forme du souffle de la passion, retourne au ciel dans l’esprit de la contemplation.

 

Ainsi se dessine le trajet essentiel dans la métamorphose de l’âme du philosophe, l’amoureux de la sagesse, qui, éveillé par la Beauté, doit faire l’unité en lui pour atteindre sa quête de la vérité.

 

 

(1)  voir l’article « L’amour dans le Banquet de Platon » dans notre revue n°188 p 20

 

 

 

Sans doute le plus célèbre tableau du peintre florentin Botticelli, « Le Printemps » paraît représenter et fêter l’arrivée des beaux jours. Mais inspiré de la philosophie platonicienne, c’est un chef d’œuvre aux significations profondes.

 

Texte

Au milieu d’un bosquet d’orangers apparaît sur une prairie, Vénus, la déesse de l’amour. Ce décor symbolise sans doute le jardin sacré de la déesse qui était situé, selon la mythologie, dans l’île de Chypre. Le tableau se lit de droite à gauche.

 

Selon le récit d’Ovide, dans le jardin des Hespérides, le dieu du vent, Zéphyr aurait été pris en voyant la nymphe Chloris d’une sauvage passion et l’aurait poursuivie et prise de force pour femme. Mais après s’être repenti de sa fougue, il l’aurait changée en Flore, reine de l’éternel printemps, et lui offrit le royaume des fleurs. Flore est ainsi la déesse de la jeunesse et de la floraison, protectrice de l’agriculture et de la fécondité féminine. Elle sème des fleurs sur la terre, indiquant par là son pouvoir fécondant. Au centre, souveraine de ce bosquet, Vénus se tient un peu à l’arrière, comme si elle voulait laisser passer sa suite devant elle. Au dessus de la déesse, les orangers se referment en demi-cercle, comme une auréole qui entourerait la déesse, et son fils, Eros décoche ses flèches d’amour, les yeux bandés. A gauche nous voyons les trois Grâces, compagnes de Vénus, dansant une ronde pleine de charme.Elles sont suivies de Mercure, le messager des dieux, qui ferme le tableau sur la gauche. Il tient de la main droite son caducée afin d’éloigner les nuages menaçant de pénétrer dans le jardin de Vénus. Il tourne le dos à la composition comme s’il voulait s’en isoler. Mercure est ici le protecteur d’un jardin dans lequel il n’y a pas de nuages et où règne la paix éternelle. La vaillance de Mercure dans sa fonction de gardien du bosquet est illustrée par la présence du sabre à son côté gauche.

 

L’éternel printemps

 

Le jardin est symbole de paix et du printemps éternels. Le tableau reflète toutefois un symbolisme plus subtil. Il symbolise le chemin de l’âme vers le divin : l’entrée de l’âme dans le jardin du monde et son chemin de perfectionnement, de la voie de l’amour sensible à celle de l’amour pur qui conduit à la contemplation des vérités éternelles.

Dans sa composition, le tableau présente deux parties qui s’harmonisent autour de l’axe représenté par Vénus. Ces deux parties illustrent le double visage de Vénus symbole de la dualité de l'âme : Vénus Pandemos attirée par les plaisirs terrestres, et Vénus Ourania qui tend vers la félicité céleste. Ces deux visages de l’amour, amour céleste et amour profane, sont représentés par les deux triptyques du tableau qui décrit les métamorphoses de l’amour qui se déploient dans le jardin de Vénus.

 

Zéphyr, Chloris et Flora

Dieu du vent, Zéphyr pénètre plutôt violemment dans le jardin au point que les arbres ploient. Il gonfle puissamment ses joues pour en faire sortir des souffles chauds. Il poursuit la nymphe habillée de voiles transparents, et qui le regarde avec effroi. Il symbolise la passion débridée. Botticelli a représenté la métamorphose de la nymphe Chloris en Flora, comme un changement de nature : la naïve Chloris est transformée en beauté victorieuse, comme fruit de la réunion de la passion et de la pureté.

 

Dans une autre clé, selon l’orphisme, l’âme entre dans l’univers, portée par les vents. Zéphyr, le ténébreux, s’introduit dans le jardin du monde et y fait entrer l’âme/Chloris, l’étoile céleste, tout en semblant la retenir, comme l’amour passionnel ralentit l’avancée vers le monde céleste.

 

Flore, l’âme-fleur est la figure de la beauté terrestre, qui n’est pas seulement belle elle-même, mais qui, en semant ses roses, embellit le monde. Flore représente la seconde Vénus, la Vénus terrestre ou Vénus pandemos. C’est la mère de la vie.

 

Vénus

 

Loin d’être l’incarnation de l’amour charnel, Vénus, comme axe du tableau, symbolise l’idéal humaniste de l’amour spirituel qui, avec l’ascèse de l’âme, permet son élévation vers les hauteurs de l’intelligence pure. Telle la Diotime du Banquet de Platon elle montre la voie de la beauté et de l’amour célestes.

 

Selon Platon, la communion entre les mortels et les dieux s'établit par la médiation de l'Amour (1) . Cet Amour est personnifié par Vénus au centre d'un processus qui relie les dieux et les hommes, rythmé en trois temps : l'émanation, qui est la création, la conversion ou le rapt, qui produit une extase vivifiante d'où jaillit l'Amour, et la réintégration ou perfectionnement, qui permet le retour au ciel et la réunion avec les dieux. Comme le disait Jorge Livraga, Botticelli présente Vénus «qui domine le passé, le présent et le futur. C'est l'axe central. C'est l'Amour platonicien qui domine tout ce qui est manifesté et se concrétise selon les besoins et le degré de conscience de chacun ».

 

Vénus lève la main vers les trois Grâces en signe de modération. Déesse de la concorde et de l’harmonie, Vénus est représentée, dans le néo-platonisme renaissant, comme une déesse bienfaisante, paisible et mesurée. Elle semble enceinte, comme pleine de l’harmonie du monde.

 

Les trois Grâces

 

Les trois grâces représentent les trois visages de l’amour. Selon la clé chrétienne, elles sont les vertus théologales : Foi, espérance et Charité. Dans la clé néoplatonicienne, ce triptyque présente Pulchritud-Amor(Castitas)-Voluptas, la Beauté, l'Amour (chaste), le Plaisir. Selon Ficin « l'amour commence par la beauté et se termine en plaisir. » Dans l’itinéraire qui comble l’âme, l’art est le premier degré par le plaisir de la beauté, et la joie de la contemplation est le dernier degré de ravissement de l’amour sacré.

 

La première Grâce est Beauté. Dans l'art de la Renaissance, la place de la Beauté est centrale, tenant un rôle quasi mystique. Les artistes et les poètes ont la faculté prophétique de voir le Beau et ainsi exciter l'amour de la connaissance. C'est par l'expérience de la Beauté, reflet de Dieu que l'on parvient à s'élever à la vision du divin. "La beauté du monde est la splendeur du visage de Dieu" dit Ficin. Selon l’enseignement platonicien, le philosophe doit extraire de la beauté sensible ce qui doit favoriser l’ardeur de l’amour supérieur. La Beauté est aussi, selon l’enseignement platonicien contenu dans le Phèdre, la seule représentation qui peut éveiller dans notre âme la réminiscence des beautés célestes qu’elle a contemplées avant son entrée dans le monde. C’est pourquoi, pour les philosophes de la Renaissance, la Beauté est spirituelle.

 

L’amour et le plaisir

 

La grâce du centre, est  l’Amour. On l’identifie également à la Chasteté. C’est l’amour pur, non souillé de désir sensuel, car seul l’amour chaste conduit à la vraie jouissance de la beauté. Elle se distingue des autres en ne portant aucune parure.

Elle nous tourne le dos, pour marquer que la conversion aux choses divines implique de se détourner de ce monde pour s'ouvrir au Tout Autre. Cette fonction de médiateur de l'Amour correspond à la définition donnée par Platon dans le Banquet, à savoir que « l'Amour est le Désir éveillé par la Beauté. » Seule la force vivifiante de l'Amour peut parvenir à unir les contraires, si l'Amour contemple le Tout Autre.

La troisième grâce est le Plaisir. Le plaisir n’est pas la volupté sensuelle, mais au contraire, représente la joie, ultime but du philosophe, qu'il doit conquérir par cette contemplation du Tout Autre. Cette joie (l'eudaimonia des anciens) est le bien suprême.

 

Cupidon

 

Cupidon est le fils de la Vénus céleste et décoche ses flèches sur Amour/chasteté. Dans la mystique de la Renaissance, Cupidon va inspirer à l’amour chaste un désir éveillera la volonté assoupie de l’âme et la propulsera dans sa quête. Ce sera une fureur héroïque qui conduira l’âme vers le supérieur. Ses yeux sont bandés car selon Pic de la Mirandole « Orphée dit que l'amour est 'sans yeux' parce qu'il est au-delà de l'intellect ». Pour connaître la nature divine de l'âme immortelle cachée au fond de soi, il faut développer un regard intérieur, symbolisé par les artistes de la Renaissance, comme un aveuglement physique.

 

Mercure

 

Situé à la fin du tableau, Mercure annonce le but ultime du voyage d’amour. Par son caducée brandi vers le ciel, il invite à la vision extatique qui s’obtient par l’union avec l’esprit.

 

Par tradition Mercure est le guide et l’escorte des Grâces. « L'intelligence suit le plaisir, qui est le bien suprême, le plus authentique et le plus durable. » dit Pic de la Mirandole. Car ce sont les sentiments supérieurs, tels la joie authentique, qui permettent l’éclosion de la sagesse, c'est-à-dire l’intelligence qui guide la personnalité humaine. Mercure chasse les nuages de la pensée et dissipe les troubles mentaux nés des passions ombrageuses, et les « sottes opinions ». Mercure est aussi le mystagogue, celui qui permet de pénétrer les connaissances secrètes : révéler les mystères, c’est ôter les voiles tout en préservant leur opacité en sorte que la vérité puisse pénétrer et non pas éblouir.

 

En montrant la lumière divine cachée dans les nues, et tournant le dos au monde pour contempler l’au-delà, Mercure poursuit l’action des Grâces amorcée dans leur danse. Il est le guide de l’esprit, symbolisé par les flammes renversées qui figurent sur sa toge.

 

Un cycle complet

Mais la composition est un véritable cycle dans lequel Mercure et Zéphyr se rejoignent.

Tourner le dos au monde avec le détachement de Mercure et retrouver le monde avec l’impétuosité de Zéphyr telles sont les deux forces complémentaires de l’amour, dont Vénus est la gardienne et Cupidon l’agent.

Souffle et esprit étant une seule et même chose, le souffle printanier de Zéphyr (qui dans son aspect sauvage peut aussi être identifié à un satyre ou à Pan, sorte de Mercure terrestre) et l’esprit de Mercure représentent deux phases d’un processus récurrent. Celui qui descend sur terre sous la forme du souffle de la passion, retourne au ciel dans l’esprit de la contemplation.

 

Ainsi se dessine le trajet essentiel dans la métamorphose de l’âme du philosophe, l’amoureux de la sagesse, qui, éveillé par la Beauté, doit faire l’unité en lui pour atteindre sa quête de la vérité.

 

 

(1)  voir l’article « L’amour dans le Banquet de Platon » dans notre revue n°188 p 20

 

 

Vous pouvez librement citer ou copier cet article en mentionnant :
article rédigé par Isabelle Ohmann - isabelle.ohmann.over-blog.com

 

 

 

 

 

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:08

C’est grâce à l’Heptateuque, le traité des sept Arts libéraux, rédigé par Thierry de Chartres au XIIe siècle que nous connaissons les matières qui étaient enseignées à l’Ecole de Chartres. Les sciences profanes, ou l’étude des choses humaines, étaient divisées entre le trivium et le quadrivium, les sciences des mots et les sciences des choses.

 

Malgré l’exposé encyclopédique de l’Heptateuque de Thierry de Chartres, il faut se garder de penser qu’il reflète la totalité du programme enseigné. Certes le Haut Moyen Age en général et l’Ecole de Chartres en particulier sont restés fidèles à la tradition des sept Arts libéraux léguée par les écoles de l’Antiquité tardive. Mais ils surent dépasser ce cadre relativement étroit pour s’ouvrir à d’autres disciplines, comme la physique, les arts mécaniques, la médecine ou encore le droit. Au-dessus et au-delà de la science des choses humaines, on trouve également la science des choses divines, que l’on appellera bientôt théologie. Ici comme dans les arts libéraux, l’enseignement est à base de lecture commentée.

 

Le portail royal de Chartres

 

Outre les écrits, il nous reste un précieux témoin de cet âge de l’Ecole de Chartres, le Portail Royal de la cathédrale. Sur le porche de droite, nous voyons au tympan la Vierge Marie, symbole de la sagesse incarnée. Autour d’elle dans les voussures, les sept arts libéraux, Grammaire, Rhétorique, Dialectique, Arithmétique, Musique, Géométrie, Astronomie qui compose une auréole de savoir. Chacune de ces disciplines est évoquée par deux figures : l’une féminine, couverte d’un voile pour souligner son caractère sacré, est celle de la discipline elle-même et l’autre, masculine, celle d’un de ses représentants fameux.

 

Le trivium

 

Il débute par la grammaire qui, comme l’écrivit Thierry de Chartres,  marche la première dans le synode des sept arts libéraux. Dans son équivalent moderne, la grammaire est philologie, c'est-à-dire l’étude du langage. Au Moyen Age, elle consiste dans l’étude des auteurs classiques latins ainsi que dans la composition en prose et en vers. Dans l’esprit des hommes de l’époque, la grammaire est la porte de tout savoir. Selon Jean de Salisbury, elle est à la fois le berceau et la nourrice de la philosophie. Chez Bernard de Chartres, grammaire et ontologie, c'est-à-dire science du langage et science de l’être marchent ensemble. On étudie Donat et Priscien et c’est l’un de ces deux personnages qui est illustré à coté de la figure d’une femme surplombant deux jeunes enfants avec chacun un livre ouvert sur les genoux. Personnification de la grammaire, la femme tient un livre ouvert dans sa main gauche et un faisceau de verges dans sa main droite, évoquant la discipline nécessaire pour l’étude.

 

Rhétorique et dialectique

 

Composition d’essais d’éloquence sacrée ou profane. On étudie Cicéron qui illustre la discipline. Les travaux d’Aristote (qui symbolise la discipline) et de Porphyre servaient de base pour la logique abstraite, mais l’accent était mis sur des auteurs tels que saint Augustin, Boèce, Scot Erigène ou Denys l’Aréopagite. La discipline est illustrée par une femme assise qui tient en sa main droite un monstre serpentin et dans la gauche un sceptre fleuri.

 

Le quadrivium

 

Le quadrivium était de loin plus fondamental que le trivium. C’était la science des choses ou la voie de la sagesse, en complément de celle de l’éloquence. Thierry de Chartres explique les quatre types de raisonnement qui portent l’homme à la connaissance du Créateur. Ce sont l’arithmétique, la musique, la géométrie et l’astronomie.

 

Arithmétique et géométrie 

 

On étudie les travaux d’Euclide (qui symbolise la géométrie), de Platon et Boèce (pour l’arithmétique), mais aussi de traités plus récents, ceux de Gerbert. L’Ecole de Chartres faisait sienne la maxime de Macrobe qui rappelait la tradition pythagoricienne : « Lorsque notre pensée, s’élevant, va de nous vers les dieux, le premier degré d’immatérialité qu’elle rencontre, ce sont les nombres. »

 

La musique

 

Depuis l’évêque Fulbert de Chartres (mort en 1028), chantre exceptionnel et créateur de la forme polyphonique dans la composition musicale, l’enseignement de la musique est très important à Chartres. Très rapidement on y verra naître une grande école de chant, profane et sacré, accompagné parfois au luth à la lyre et à l’orgue. La construction même de la cathédrale qui combinera arithmétique, géométrie et musique dans ses rapports architecturaux, témoigne de l’importance de ces disciplines au sein même de l’Ecole de Chartres. On étudie les œuvres de Pythagore qui illustre cette discipline aux côtés d’une femme assise qui tient d’une main un instrument à cordes et de l’autre sonne des clochettes rangées par trois.

 

L’astronomie

 

On étudie principalement les écrits de Bède, D’Abbon, de Denys le Petit, mais aussi les Canons de Ptolémée (qui symbolise la discipline) ainsi que certains savants arabes, comme al-Khwarismi (IXe siècle). En considérant l’harmonie de l’Univers comme le reflet du Créateur, on efface toute contradiction entre science et foi. Thierry de Chartres disait que « mettant de l’ordre à ce qui était désordonné [Dieu] se rendait visible même à celui qui a peu de connaissance. »

 

Parmi les figures illustres choisies pour représenter les Arts Libéraux, seulement une est chrétienne (Boèce). Pour les maîtres de Chartres il n’y avait ni rupture ni conflit entre la culture antique et l’ère chrétienne, mais harmonie, tout comme entre les disciplines du trivium et du quadrivium. Comme l’écrivait Thierry de Chartres : « Nous avons conjoint comme par une alliance matrimoniale trivium et quadrivium pour l’accroissement de la noble nation des philosophes. » Harmonie que les sculptures du Portail royal expriment encore par la conjugaison des travaux de l’esprit (porche de droite) et les travaux manuels (porche de gauche) répartis selon les saisons et les mois, équilibre assuré par le tympan du porche central dominé par le Christ en majesté.

 

L’âne qui vielle

 

Au flanc méridional du clocher de Chartres, le visiteur moderne peut voir non sans surprise la représentation d’un âne tenant entre ses sabots un instrument de musique, une vielle. Quelle ironie présente donc cette scène burlesque puisqu’il est évident que l’âne ne pourra tirer aucune mélodie de l’instrument ? C’est que nous sommes oublieux de la tradition classique qui interrogeait en grec «Es-tu onos lyras ?», «Es-tu un âne à la lyre ?». Autrement dit, la cathédrale que tu contemples, est comme une lyre prête à vibrer sous tes doigts. Es-tu capable d’en jouer ? Sais-tu en exprimer la secrète harmonie ? Ou bien seras-tu comme moi, pauvre baudet qui, ayant trouvé une lyre, est incapable d’en jouer ?


Vous pouvez librement citer ou copier cet article en mentionnant la référence suivante : 
article rédigé par Isabelle Ohmann - isabelle.ohmann.over-blog.com 

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27 novembre 2009 5 27 /11 /novembre /2009 21:05

 

Autour de la Cathédrale de Chartres qui exprime admirablement les talents et connaissances des maîtres du XIIe siècle, s’est développé un univers culturel si riche et intense que Chartres devint le centre intellectuel de son siècle, haut lieu du savoir occidental et foyer d’une véritable renaissance humaniste inspiré par le platonisme.

 

 

 

Comme toute cathédrale importante au Moyen Age, Chartres a entretenu des écoles destinées à l’éducation. Ces écoles des cathédrales offraient une éducation ouverte. On y enseigna les arts du trivium (grammaire, rhétorique, et logique) ou science des mots, comme ceux du quadrivium (arithmétique, géométrie, musique et astronomie) ou science des choses, ainsi que de nombreux autre domaines du savoir comme la morale et la médecine. En plus des sciences humaines, on y étudiait la science sacrée, la théologie. C’est cet esprit d’étude alimenté par la science gréco-arabe qui va rayonner dans tout le siècle.

 

Les origines

L’origine de l’Ecole de Chartres est sans doute liée à l’épiscopat de Fulbert, lettré et savant (1006-1028). Après l’incendie désastreux de l’ancienne église, Fulbert déploya son génie et son argent à reconstruire un nouvel édifice qui vit le jour en moins de vingt ans, (mais qui disparut à son tour en 1194 et dont il ne reste aujourd’hui que la crypte). L’importance comme évêque et conseiller des rois de Fulbert est reconnue de tous, et c’est par sa renommée internationale qu’il parvint à mobiliser les grands de ce monde. Mais il ne réserve pas son savoir aux élites, comme en témoigne une représentation où on le voit enseigner non seulement aux hommes mais également aux enfants et aux femmes.

 

Fulbert, homme universel

Doté d’un vrai sens politique, d’une érudition reconnue par ses pairs et d’un charisme pastoral, Fulbert semble bien s’être intéressé à toutes les branches du savoir, c'est-à-dire les sept arts libéraux du trivium et du quadrivium, mais aussi la science sacrée, le droit et la médecine. Il laissa une abondante correspondance, des poèmes et des sermons. Il passe pour être un chantre exceptionnel et avec son ami Sigond, développera la forme polyphonique dans la composition musicale. Mais surtout, il ancre ce qui deviendra l’Ecole de Chartres dans un courant platonicien. Il ne situe pas la connaissance dans le monde de la perception sensorielle mais dans celui des idées. Il réfute ainsi la démarche matérialiste de son contemporain Bérenger, qui consistait à ériger l’expérience sensible comme unique moyen de la connaissance. Tout l’enseignement de l’Ecole de Chartres consistera à rendre intelligible les lois de l’Univers. Un de ses disciples écrivit « Nous avons plus de motifs de nous féliciter d’avoir vécu en sa compagnie que n’en avait Platon quand il rendait grâces à la Nature de l’avoir fait naître… au temps de son cher Socrate. »

 

L’Ecole de Chartres

Fulbert favorisa ce qui deviendra après lui l’Ecole de Chartres. Le cursus d’enseignement et les grandes figures qui l’animèrent en firent le « grand centre scientifique du siècle » selon l’expression de Jacques Le Goff (1). Placée sous la responsabilité du collège des chanoines, elle fut dirigée par des chanceliers remarquables comme Bernard de Chartres et Thierry de Chartres et accueillit des maîtres célèbres comme Guillaume de Conches, Jean de Salisbury

 

Bernard de Chartres (v.   -1124)

Chancelier de l’Ecole de Chartres vers 1119, il mourut en 1124. Il était considéré à son époque comme « le plus parfait platonicien de son temps » (on lui connaît un commentaire du Timée de Platon), « un puits de science, l’homme le plus lettré qui fût ». Il mit en œuvre une méthode d’exégèse pédagogique, dans laquelle chaque élève était obligé de rendre compte le lendemain d’une partie de ce qu’il avait appris la veille. « Pour eux, chaque jour était le disciple du jour précédent » écrit son disciple, Jean de Salisbury. Ce dernier rapporte également ces propos : «  Bernard de Chartres disait que nous (les Modernes) sommes comme des nains juchés sur les épaules des géants (les Anciens) de telle sorte que nous puissions voir plus de choses et de plus éloignées que n’en voyaient ces derniers. Et cela non point parce que notre vue serait puissante ou notre taille avantageuse, mais parce que nous sommes portés et exhaussés par la haute stature des géants. »

 

Ethique et philosophie

Bernard de Chartres plaçait l’éthique au sommet de l’édifice du savoir. Les questions posées sont les suivantes : suffit-il pour être sage de savoir ? Doit-on aussi se conduire bien ? Y a-t-il un lien nécessaire entre la conduite morale du vrai étudiant et sa science ? Pour Bernard de Chartres et les philosophes de l’Ecole de Chartres savoir et vertu doivent être conjugués. Le bon étudiant se devra donc d'être humble, doux, loin des désirs de la vanité et des apparâts de la volupté, diligent, soucieux d'apprendre de tous librement; qu'il apprenne à étudier une question à fond avant de juger; qu'il ne cherche pas à paraître docte; qu'il aime les découvertes des sages et qu'il veille à les tenir toujours devant sa face comme on tient un miroir devant son visage. Après l'humilité, Bernard de Chartres conseille le zèle de la recherche. L'humilité relève de la discipline, elle s'apprend, elle s'enseigne même.

 

Jean de Salisbury (1130-1180)

Le disciple de Bernard de Chartres, Jean de Salisbury, cet Anglais raffiné fut le secrétaire de Thomas Becket et termina sa carrière comme évêque de Chartres (1176-1180). C’est un des meilleurs représentants de la renaissance humaniste du XIIe siècle.  Ce humaniste était si fin et cultivé que l’on dit que « sa présence rehausse et ennoblit en notre pensée l’image du douzième siècle tout entier » (2) Le Policraticus de Jean de Salisbury est le premier grand traité de science politique. Il offre un nouvel idéal monarchique : un roi sage et instruit. L’auteur effectue la synthèse entre l’idée de nature, la pensée antique assimilée par la philosophie chrétienne et le renouveau de la théologie.  

 

Guillaume de Conches (v. 1080-1154)

Originaire de Normandie, Guillaume de Conches aurait commencé à enseigner aux environs de 1120. Il se définit lui-même comme un physicus, terme qui s’applique aussi bien au médecin qu’au physicien. Il sera intéressé par toutes les branches des sciences de la nature : astronomie, météorologie, géologie, optique, anatomie, physiologie. On dira de lui à l’époque qu’ « il philosophe sur Dieu en physicien » inspiré par les auteurs grecs, latins, juifs et arabes. Très lettré, il laissa un grand nombre d’œuvres, traités systématiques ou commentaires d’auteurs classiques, où les préoccupations grammaticales se mêlent aux considérations de cosmologie.

 

Une physique du monde

La Philosophia mundi de Guillaume de Conches, construit une «physique du monde». Ce maître enchaîne les causes physiques de la nature de l’univers, «de la cause première jusqu’à l’homme». Sans aller jusqu’à remettre en doute l’existence d’un Dieu créateur, il introduit cependant le questionnement et le raisonnement métaphysique. L’homme devient l’objet et le centre de la Création. La Genèse est expliquée selon des lois naturelles. Il écrit « Ce qui importe, ce n’est pas que Dieu ait pu fait cela, mais d’examiner cela, de l’expliquer rationnellement, d’en montrer le but et l’utilité. » Cette vision neuve, qui s’élève contre l’obscurantisme et la superstition, vaut de solides adversaires, parmi lesquels Bernard de Clairvaux, au Chartrain qui se défend : « Ignorant les forces de la nature, ils veulent que nous restions liés à leur ignorance, nous refusent le droit de recherche et nous condamnent à demeurer comme des rustauds dans une croyance sans intelligence ».

 

 

Thierry de Chartres

Thierry de Chartres, « le plus important philosophe de toute l’Europe » occupa la charge de chancelier de 1142 à 1150 environ. Il rédigea une « Bible des sept Arts libéraux », l’Heptateuque, véritable somme de l’enseignement des disciplines libérales, où il évoque le cheminement de la culture des Egyptiens aux Grecs, puis aux Romains. Mais cette œuvre malgré sa dimension encyclopédie, ne mentionne pas les grands textes philosophiques que commentaient les maîtres chartrains : le Timée de Platon, le Commentaire du Songe de Scipion de Macrobe ou encore la Consolation de la Philosophie, de Boèce

 

Il y fait l’éloge de la conjugaison de la sagesse et de l’éloquence, la science des choses et la science des mots, quadrivium et trivium, autour du thème des noces de Mercure et Philologia (amour de la raison) étant une allégorie de la sagesse.

Les mathématiques

Pour Thierry de Chartres, comme pour Platon, les quatre sciences du quadrivium (Arithmétique, Musique, Géométrie, Astronomie) encore appelées mathématiques, jouent le rôle de propédeutique de la théologie. Thierry précise : « la coutume des Anciens était d’apprendre d’abord les mathématiques afin de pouvoir accéder à la connaissance de la divinité. » Les mathématiques ont un point commun avec la physique puisque, pour étudier les figures idéales qui sont leur objet propre, elles sont besoin d’un support matériel ; et un point commun avec la théologie puisque leur objet propre est immatériel. Elles sont donc un pont jeté entre l’univers sensible et le monde intelligible. Au final, il s’agissait « d’effacer la disparité entre les choses humaines et divines » selon l’expression de l’Abbé Suger, fondateur de la basilique de Saint Denis.

 

L’homme créateur

L’Ecole de Chartres faisait sienne la maxime de Macrobe qui rappelait la tradition pythagoricienne : « Lorsque notre pensée, s’élevant, va de nous vers les dieux, le premier degré d’immatérialité qu’elle rencontre, ce sont les nombres. » et Thierry de Chartres ajoutait : « créer les nombres, c’est créer les choses. » La créativité de l’homme peut s’exprimer quand celui-ci accède à l’intelligibilité du monde et s’engage ensuite à le transformer et l’améliorer. Thierry de Chartres distingue ainsi les différentes facultés de l’âme : « Ainsi l’âme reste au niveau de la bête quand elle est prisonnière de la sensation et de l’imagination. Mais elle reste le propre de l’homme quand elle se met au service de la raison… et quand elle s’efforce de s’élever, dans les limites de ses capacités, à la simple totalité unificatrice et qu’elle élève la pensée jusqu’à l’intelligibilité alors elle use d’elle-même, au-dessus d’elle et devient un dieu. » « Dieu est l’Unité, l’Unité est Dieu » affirmait-il encore.

 

L’astronomie

Thierry de Chartres poursuit l’étude physicienne de Guillaume de Conches, notamment à travers l’astronomie, une des quatre disciplines du quadrivium. En considérant l’harmonie de l’Univers comme le reflet du Créateur, on efface toute contradiction entre science et foi. Thierry de Chartres disait que « mettant de l’ordre à ce qui était désordonné [Dieu] se rendait visible même à celui qui a peu de connaissance. » Si l’homme est créé à l’image de Dieu et qu’il possède aussi cette qualité créatrice, il doit alors comprendre les lois de l’Univers pour y intervenir.

 

La cathédrale

La cathédrale, œuvre d’art et de science, était l’affirmation du pouvoir créateur de l’homme. Elle fut l’expression la plus visible de la philosophie de l’Ecole de Chartres qui plaçait l’homme au centre de la création avec le pouvoir de rendre le monde intelligible, de le transformer et de l’améliorer. Toutefois sans les lieux d’éducation et de transmission des savoirs que furent les écoles des cathédrales, foyers de lumière au milieu de l’obscurantisme et de la superstition du Moyen Age, ces « maisons de Dieu » n’auraient jamais pu voir le jour.

 

  

 

Exergue

« Si vous voulez traiter de la justice, de la paix, de l’état du Royaume, vous me trouverez toujours prêt, moi petit satellite, à venir en aide dans la mesure de mes forces. » Fulbert de Chartres

 

 

 

 

(1) Jacques Le Goff, Les intellectuels au Moyen Age, Paris, 1985

(2) Etienne Gilson, La philosophie au Moyen Age, Paris, 1947

 

A lire

L’age d’or des écoles de Chartres, par Edouard Jeauneau, Editions Houvet, 2000

A la lumière des cathédrales, par Philippe Messer (internet)

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article rédigé par Isabelle Ohmann -  isabelle.ohmann.over-blog.com

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